Après avoir été faussement accusé de terrorisme, perdu deux procès, passé plus de 400 jours dans une prison égyptienne et vécu des revirements de situation dignes d'un thriller politico-judiciaire, le journaliste canadien Mohamed Fahmy a fini par être gracié au moment où il s'y attendait le moins.

Enfin libre, il est rentré au Canada au cours du dernier week-end.

Dans sa toute première conférence de presse, tenue hier à Toronto, l'ex-patron du bureau de la chaîne anglophone d'Al Jazeera au Caire a fustigé le premier ministre Stephen Harper, qui l'a «trahi et abandonné» pendant les heures les plus sombres de son cauchemar.

«Dans ma cellule, je refusais d'admettre que M. Harper ne mettait pas tout son poids en ma faveur, je ne pouvais pas l'accepter, mon esprit ne pouvait pas l'accepter», s'étonnait-il encore.

Avant de lancer cette phrase coup de poing: «Il n'y a pas de mots pour décrire comment on se sent quand on est enfermé dans une cellule froide, infestée d'insectes, souffrant d'une épaule cassée, et que votre seul espoir, c'est que votre premier ministre fera tout pour vous sortir de là...»

De toute évidence, «son» premier ministre a plutôt joué les poids légers dans cette affaire. Concrètement, que lui reproche-t-il? «Il n'a pas compris l'urgence de ce cas compliqué et la nécessité d'une intervention immédiate, et il s'est contenté de laisser des ministres juniors accomplir des gestes cosmétiques», a résumé Mohamed Fahmy quand je l'ai joint au téléphone, hier.

Ces gestes timides n'avaient aucune chance d'infléchir le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, ni de faire dévier le cours de son conflit avec le Qatar, propriétaire d'Al Jazeera - conflit dont Mohamed Fahmy et ses collègues ont été les victimes involontaires.

À l'opposé, le premier ministre australien a multiplié les appels au plus haut niveau pour faire rapatrier le journaliste Peter Greste, compagnon d'infortune de Mohamed Fahmy. Résultat: celui-ci a pu rentrer chez lui dès février.

Non seulement le premier ministre canadien n'a-t-il pas pris la peine de composer le numéro du président al-Sissi, mais il a carrément tourné le dos à M. Fahmy à un moment crucial de sa saga.

C'était vers la fin de 2014, alors que le journaliste attendait son deuxième procès et que le gouvernement égyptien venait d'adopter un décret permettant l'expulsion d'accusés étrangers - ce même décret qui a permis à Peter Greste de rentrer chez lui.

L'avocate de Mohamed Fahmy, Amal Clooney, avait alors frappé à la porte du premier ministre Harper. «Elle lui a offert de le conseiller gratuitement au sujet de ce décret que personne ne comprenait, à l'époque», explique Mohamed Fahmy. Pas question, a répondu Ottawa.

Pire encore: l'ex-ministre des Affaires étrangères John Baird a compromis cette procédure de libération en affirmant publiquement qu'en cas de rapatriement, Mohamed Fahmy ne serait jamais poursuivi au Canada. La garantie d'un procès au Canada, c'était pourtant la condition officielle pour lui permettre de quitter l'Égypte! Les autorités égyptiennes n'ont pas digéré ce camouflet. Et l'expulsion n'a pas eu lieu.

Enfin, il y a eu toute la pagaille autour du passeport canadien de Mohamed Fahmy, qui avait renoncé à sa citoyenneté égyptienne, croyant ainsi aider sa cause. C'est en tout cas ce que lui ont fait miroiter les responsables canadiens - qui ne se sont pourtant pas pressés pour lui délivrer son passeport, le laissant sans papiers pendant plusieurs mois.

Trois mots résument l'attitude du gouvernement Harper dans le dossier de Mohamed Fahmy: indifférence, négligence, incompétence. Pourquoi ne pas avoir pris la peine de téléphoner au président al-Sissi? Combien de temps cette démarche plutôt simple aurait-elle soustrait à l'horaire chargé de Stephen Harper? Celui-ci estimait-il que la cause était perdue? Ou s'en fichait-il royalement? Allez donc savoir.

Ce que cette histoire démontre, en revanche, c'est que le pouvoir égyptien, tout autocratique soit-il, n'est pas imperméable aux critiques internationales. Que rien ne justifie de baisser les bras quand un de nos concitoyens se retrouve injustement condamné à l'autre bout de la planète. Bref, que la mobilisation paie, et qu'à l'avenir, elle peut faire bouger d'autres régimes autoritaires, dans des cas semblables.

Après un cauchemar qui aura duré presque deux ans, Mohamed Fahmy est implacable dans ses jugements - notamment à l'égard du réseau Al Jazeera, qu'il accuse d'avoir exposé ses journalistes en les laissant travailler sans licence, à leur insu. Il a d'ailleurs intenté une poursuite contre ses anciens employeurs.

Implacable, mais pas amer pour un sou. Il a dorénavant l'intention de se consacrer à sa fondation qui viendra en aide à d'autres journalistes ayant atterri derrière les barreaux de quelque dictature, simplement parce qu'ils ont fait leur boulot. Il compte enseigner le journalisme à l'Université de Colombie-Britannique, poursuivre l'écriture d'un livre sur son expérience. Mais surtout, il va profiter de la liberté qui lui permet de marcher dans les rues de Toronto, de Vancouver ou de Montréal, où vivent ses parents. «Ce n'est qu'en arrivant au Canada que j'ai réalisé que j'étais vraiment libre, en sécurité, que je n'avais plus à m'inquiéter», confie le journaliste.

Cette liberté lui permettra aussi d'aller voter, lundi prochain. Mohamed Fahmy refuse de dire à quel parti il donnera son vote. Mais on devine facilement pour qui il ne votera pas...