Thomas Mulcair s'est pointé devant les journalistes, mardi soir à Iqaluit, avec un carton de jus Tropicana dans les mains. « Vous savez combien j'ai payé pour ça ?, a-t-il demandé. Je viens de payer 11,75 $ au supermarché d'Iqaluit un produit que les Canadiens peuvent acheter pour 4,75 $ dans le sud du pays. Ça n'a pas de sens : le programme Nutrition Nord est un échec lamentable. »

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) a blâmé le gouvernement Harper, rappelant au passage que le vérificateur général a critiqué l'inefficacité et le manque de suivi du programme Nutrition Nord.

Hier matin, M. Mulcair s'est installé en surplomb du majestueux bras de mer de Koojesse Inlet, à Apex, pour parler, cette fois, de la protection de l'environnement des communautés du Grand Nord, engagements atteignant des millions de dollars à l'appui.

Pendant que le chef néo-démocrate prenait des photos avec des partisans, sa femme, Catherine, m'a parlé avec un mélange de passion et de colère sourde de la préservation de ces lieux fragiles, de la pauvreté des autochtones et de l'épidémie de suicide chez les jeunes.

« Je n'accepte pas cela, c'est inacceptable, a-t-elle répété. Il ne faut plus se taire, il faut agir, ces gens sont nos égaux. Moi, je ne veux plus me taire. »

Les problèmes sociaux et économiques de ces communautés éloignées sont effectivement criants et constituent, même si on préfère les ignorer, une honte nationale dans un pays riche comme le Canada, mais il y avait comme un voile cachant en partie le message de Thomas Mulcair tout le long de cette visite de 24 heures au Nunavut.

Comme un niqab, pour être plus précis, qui a collé sur la campagne néo-démocrate à Iqaluit, comme il colle d'ailleurs depuis deux bonnes semaines.

M. Mulcair a eu beau parcourir 2500 km plein nord pour changer d'air, rien à faire, le niqab est accroché à sa campagne.

Il faut dire que le NPD ne s'aide pas beaucoup : mardi, trois candidats orange ont exprimé publiquement leur opposition au port du niqab lors des cérémonies de prestation de serment de citoyenneté. Le signal internet est peut-être faible et irrégulier à Iqaluit, mais la nouvelle a toutefois fini par remonter jusque-là.

Les conseillers de Thomas Mulcair l'admettent : cette histoire de niqab colle. On sent d'ailleurs clairement la frustration dans le clan Mulcair. De même que de la grogne contre Stephen Harper et contre le Bloc, qu'ils accusent de faire du surf sur cette histoire.

Le clan Mulcair est, dans un autre ordre d'idées, en beau fusil contre « la gang à Charest », qu'il soupçonne d'avoir déterré des histoires comme les déclarations passées de M. Mulcair sur Margaret Thatcher et, plus encore, sur les tribulations entourant la privatisation du parc du Mont-Orford. La relation entre MM. Charest et Mulcair s'est mal terminée et, visiblement, elle a laissé des cicatrices.

Mais revenons à l'indécollable niqab.

« On entend toutes sortes de choses sur le niqab depuis quelques jours, déplore M. Mulcair. On oublie que le jugement dit clairement qu'il faut se découvrir le visage au moment de l'identification lors de ces cérémonies. »

De retour au Québec pour se préparer aux Face-à-face de TVA, demain, et à l'enregistrement de Tout le monde en parle, ce soir, Thomas Mulcair doit absolument trouver une façon de se sortir de ce bourbier ; sinon, la glissade dans les sondages risque de se poursuivre. Répéter que les tribunaux ont tranché et qu'il se range derrière leur décision est un réflexe juridique, pas une position politique.

Cela dit, ne vous attendez pas à voir Thomas Mulcair changer son fusil d'épaule et évoquer, comme le font les conservateurs et les bloquistes, le bannissement complet du niqab lors de ces cérémonies.

Les espoirs du clan Mulcair se tournent maintenant vers Atlanta, où se tiennent les négociations de l'Accord transpacifique (ATP), qui créerait la plus importante zone de libre-échange du monde (17 pays, dont les États-Unis, le Japon, le Mexique et le Canada).

Thomas Mulcair accuse Stephen Harper de vouloir sacrifier la gestion de l'offre, chère aux producteurs laitiers du Québec et de l'Ontario, et le secteur automobile, crucial pour l'économie ontarienne.

Contrairement à l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, enjeu central de la campagne de 1988 et cheval de bataille de Brian Mulroney, la présente négociation de l'ATP semble bien loin des préoccupations des Canadiens et vient tout juste d'apparaître, après 60 jours de campagne, dans le décor électoral.

Le NPD s'inquiète, les libéraux aussi, mais les syndicats et autres groupes civils, opposés aux accords de libre-échange par le passé, sont devenus bien silencieux. Auparavant, ces groupes étaient des alliés naturels du NPD.

Les doutes quant au maintien de la gestion de l'offre pourraient faire mal aux conservateurs dans les régions rurales du Québec et de l'Ontario, croient les néo-démocrates. Torpillés par la manoeuvre de Stephen Harper sur le niqab, les néo-démocrates s'accrochent à cet espoir.

L'impact du niqab est indéniable, mais dans une si longue campagne, le NPD a visiblement manqué de carburant.

Se présenter comme la solution de rechange naturelle aux conservateurs n'a pas suffi. Il fallait aussi mettre en vitrine un ou deux produits-vedettes.

Les garderies ? Promesse mal reçue en Ontario et inconséquente au Québec. L'abolition du Sénat ? Oui, mais comment ? Le retrait de la mission en Syrie et l'annulation de la loi C-51 ? Peut-être, mais quel est le bénéfice immédiat pour les électeurs, ici, maintenant, dans leur vie et dans leur poche ?

Contre Justin Trudeau, qui mise sur un programme d'infrastructures et sur une aide financière directe non imposable aux jeunes familles, et contre Stephen Harper, le maître du message simple, le NPD a du mal à s'imposer. Et beaucoup de mal à se déprendre du piège du niqab.

« Dans une campagne de 36 jours, on aurait gagné. Quarante-cinq jours ? Peut-être. Mais 60, 70, 80 jours, ça devient plus difficile », résume un stratège de Thomas Mulcair.