Plus tôt dans cette campagne, Justin Trudeau s'est préparé pour les débats de Calgary et de Montréal en s'entraînant dans un club de boxe. Lundi, à Toronto, il a gardé ses gants et ses meilleurs coups pour le débat contre Stephen Harper et Thomas Mulcair, qui ont encaissé durement toute la soirée.

Il est très souvent difficile, après un débat, de désigner le vainqueur, mais dans le cas de ce débat de l'institut Munk portant exclusivement sur les affaires étrangères, il était évident après quelques minutes seulement que le chef libéral l'emporterait aux points. Ce qu'il a fait, en effet, multipliant les attaques contre MM. Harper et Mulcair.

Stephen Harper, comme toujours dans les débats, a encaissé avec flegme, profitant des accalmies pour passer ses messages à sa base et aux électeurs indécis sensibles aux questions de sécurité, notamment.

La soirée a été beaucoup plus longue et difficile pour Thomas Mulcair, qui avait adopté un ton beaucoup trop calme, presque détaché par moments. Devant la fougue de son jeune adversaire libéral, le chef du NPD semblait ne pas faire le poids. Irrité, Thomas Mulcair a lancé un « Justin » paternaliste, puis, plus tard, ce coup en bas de la ceinture : « Trudeau ne comprend pas les sujets des débats parce qu'il est habitué qu'on écrive les lignes pour lui. » Tous les politiciens ont des rédacteurs et des conseillers qui leur glissent des petites phrases-chocs et des réponses, et dans la grande salle du Roy-Thompson Hall, les spectateurs n'ont pas aimé la pointe.

Il faut dire que les échanges entre MM. Trudeau et Mulcair se sont rapidement enflammés après que le chef néo-démocrate eut reproché à Pierre Elliott Trudeau d'avoir imposé la loi des mesures de guerre. La réplique, cinglante, longue et passionnée de Justin Trudeau n'a pas tardé. Le ton était donné.

À son tour, Thomas Mulcair a visé Justin Trudeau avec cette réplique acérée : 

« Je trouve ça drôle de voir M. Trudeau dire qu'il va mettre Poutine à sa place, il n'est même pas capable de se tenir debout devant M. Harper ! » Ces deux-là ne sont pas partis prendre une bière dans King Street en sortant du Roy-Thompson Hall.

Le chef libéral, souvent dépeint comme un leader jeune, inexpérimenté et superficiel, devait démontrer hier soir, comme à tous les débats, qu'il joue dans la cour des grands.

Peut-être un peu plus que d'habitude puisqu'il s'agissait de rassurer les Canadiens quant à sa prestance sur les grandes scènes internationales. Il aura réussi haut la main, mais il aurait certainement préféré que ce débat fût télédiffusé sur les grands réseaux nationaux.

D'emblée, sur la question des réfugiés syriens, il a reproché à Stephen Harper son manque de compassion, l'accusant de s'éloigner des valeurs traditionnelles du Canada.

« Ces réfugiés ont résisté et ils ont fui des dictatures, et qu'est-ce que vous faites quand ils arrivent ici, M. Harper ? Vous leur retirez les soins de santé », a-t-il lancé à la fin d'une longue tirade.

Les critiques de M. Trudeau envers M. Harper se sont succédé pendant deux heures. Il a dénoncé l'« obsession de sécurité » aux dépens de la compassion ; il a accusé le gouvernement Harper d'être « obstructionniste » dans les grandes organisations internationales, en environnement notamment ; d'avoir « transformé son appui à Israël en ballon de football politique » et de bafouer l'État de droit en révoquant la citoyenneté à un jeune homme condamné récemment pour planification d'attentats terroristes.

« Le monde entier est en train de nous regarder et de se demander : mais qu'est-ce qui arrive avec le Canada ? », a lancé M. Trudeau devant un Stephen Harper impassible, plus préoccupé à passer ses lignes en anglais et en français qu'à débattre avec ses deux rivaux.

Même les nombreux voyages de M. Harper dans le Grand Nord canadien sont passés dans le tordeur : « Vous savez ce que les gens disent là-bas de vos visites, M. Harper ? Ils disent que vous avez un gros traîneau, mais pas de chien ! » La salle l'a trouvé bien drôle. Pas M. Harper.

Sur le bilan environnemental des conservateurs, M. Trudeau s'est même franchement payé la tête de M. Harper : « Il dit tout le temps ça, il parle comme si le Canada était un leader mondial en environnement. Il va finir par se croire ! » a-t-il dit, moqueur.

Thomas Mulcair a repris du poil de la bête dans la dernière demi-heure du débat, mais il se faisait tard. M. Harper est resté campé, sans surprise, sur ses positions (sécurité, lutte contre le terrorisme). La bataille pour les « valeurs canadiennes » (compassion, accueil, ouverture) se jouait donc entre MM. Trudeau et Mulcair. La passion du premier a pris le dessus sur le calme emprunté du second.

Cette contre-performance du chef du NPD arrive au mauvais moment. Les derniers sondages sont alarmants et les orange ont glissé au troisième rang au Canada.

Prochain et dernier débat : les face-à-face à TVA, vendredi. Cette fois (encore), la pression sera énorme sur Thomas Mulcair.