On parle beaucoup des jeunes familles depuis huit semaines, mais si Stephen Harper gagne son pari et réussit à se maintenir au pouvoir le 19 octobre, ce sera grâce aux baby-boomers, qui appuient massivement le Parti conservateur et qui, généralement, votent dans une plus grande proportion que leurs enfants et petits-enfants.

Depuis des mois, les trois principaux partis se battent férocement à coups de promesses et d'engagements pour séduire les familles de la classe moyenne, mais le résultat du présent scrutin sera fort probablement décidé par... les retraités.

Thomas Mulcair promet des garderies et Justin Trudeau, de l'aide financière non imposable aux jeunes familles, mais c'est Stephen Harper qui tire le mieux son épingle du jeu dans toutes les catégories d'âge des électeurs, et plus particulièrement chez les 50 ans et plus.

Morale de l'histoire, du moins selon ce coup de sonde de la firme Ekos : au Canada, un parti politique a plus de chances de gagner en offrant des comptes d'épargne libre d'impôt et la possibilité pour les couples de fractionner leurs revenus qu'en promettant des garderies et du soutien financier aux jeunes familles.

Les conservateurs de Stephen Harper sont premiers dans toutes les catégories d'âge (ce qui est déjà inquiétant pour les libéraux et les néo-démocrates), mais c'est chez les électeurs de 50 ans et plus que l'avance, pour ne pas dire la domination, est la plus frappante : 50-64 ans : PC 34 %, NPD 27 %, PLC 25 % ; 65 ans et plus : PC 43,5 %, NPD 19 %, PLC 28 %.

Après huit semaines de campagne, l'« affaire Duffy », la récession (ou non, ce n'est pas clair) et la crise des migrants, on y revient, encore une fois : It's the economy, stupid !, comme l'a dit il y a plus de 20 ans James Carville, conseiller de Bill Clinton.

Le choix qui se présente devant les électeurs est relativement simple : réélire un gouvernement sortant qui privilégie les baisses d'impôt et des mesures favorables aux contribuables de la classe moyenne-supérieure (CELI et fractionnement du revenu) ou élire un des deux partis qui proposent des garderies et une augmentation des impôts des entreprises (NPD) ou une aide financière accrue aux parents et un programme majeur d'infrastructures (PLC, qui prévoit aussi, il faut le noter, au moins trois ans de déficits).

Pour le moment, selon Ekos, c'est l'approche Harper qui gagne. En particulier en Ontario, où les conservateurs sont en bonne position pour garder les sièges arrachés aux libéraux en 2011, et en Colombie-Britannique, autre champ de bataille crucial. À noter, pour une rare fois dans un sondage, les conservateurs semblent même avoir comblé l'« écart de genre », eux qui sont toujours à la traîne auprès de l'électorat féminin.

On note aussi une remontée des conservateurs au Québec au cours des derniers jours (lorsqu'on compare avec des sondages d'autres firmes). Ils seraient maintenant deuxièmes, à 23 %, bénéficiant, selon toute vraisemblance, de l'« effet niqab » (prudence, toutefois, avec les échantillons régionaux, moins amples et moins fiables).

Les conservateurs savent que cet enjeu est électoralement rentable. Au Canada et au Québec, où ils ont diffusé une nouvelle pub parlant des « valeurs québécoises » et des cérémonies de citoyenneté à visage découvert. Le NPD, meneur au Québec, se retrouve coincé avec ce dossier. Hier, à Montréal, Thomas Mulcair a tenu à préciser dans un discours qu'il veut que les femmes dévoilent leur visage au moment de prêter serment, comme le veut le règlement actuel.

En coulisses, les stratèges néo-démocrates contenaient mal leur frustration envers le Bloc québécois, qui a lancé une publicité controversée faisant un lien entre pipeline, pétrole et... niqab.

« Le Bloc fait la job de bras pour les conservateurs, pestait un conseiller de Thomas Mulcair. Le Bloc ne gagne rien, il envoie des votes aux conservateurs. »

Ce sondage Ekos pose une autre question intéressante, voire essentielle dans une campagne électorale : « Selon vous, nonobstant votre préférence, quel parti remportera ces élections ? »

J'ai toujours pris cette question très au sérieux parce qu'elle est, selon moi, très éclairante et souvent prémonitoire. Ce sont les conservateurs qui gagneront, tranchent les répondants d'Ekos, même s'ils préfèrent un gouvernement de coalition dirigé soit par Justin Trudeau, soit par Thomas Mulcair.

Les Anglais disent : Everybody loves a winner (tout le monde préfère les gagnants). Après huit semaines de campagne, et dix ans au pouvoir, que les conservateurs soient premiers, c'est phénoménal. Que les électeurs les voient rester au pouvoir, c'est un très mauvais signe pour leurs adversaires.