Être candidat-vedette apporte parfois de bien drôles de responsabilités, comme celle de devoir commenter, à chaud, pour un grand journal étranger, une crise internationale aux multiples ramifications.

À sa plus grande surprise, le candidat conservateur dans Louis-Saint-Laurent, Gérard Deltell, a reçu la semaine dernière une demande d'interview du journal Le Monde, qui s'intéressait à la position du gouvernement conservateur sortant sur la crise des réfugiés syriens.

« Je ne me défile pas, je réponds aux demandes d'entrevue, mais il y a tout de même des limites : on ne s'improvise pas spécialiste de questions complexes comme le dossier des réfugiés syriens ! En fait, on ne s'improvise pas député fédéral, point », lance Gérard Deltell, rencontré dans un restaurant de Québec, la semaine dernière.

M. Deltell veut bien parler des dossiers régionaux ou du bilan économique de son parti, mais il a prestement redirigé les collègues du Monde vers le bureau du ministre de l'Immigration, Chris Alexander.

Le candidat conservateur dans Louis-Saint-Laurent affirme avoir les coudées franches pour parler aux médias, niant avoir reçu de son parti la directive de faire profil bas, comme c'est le cas dans d'autres régions du Canada, où il est à peu près impossible de parler aux candidats de Stephen Harper.

« Non, il n'y a pas de mot d'ordre du genre, dit-il. La seule chose, c'est que je dois informer le parti des demandes d'entrevue, et je dois m'assurer d'avoir les bonnes lignes. »

« On doit parler d'une même voix et, comme je disais, on ne s'improvise pas député fédéral du jour au lendemain. »

De toute évidence, Gérard Deltell prend son rôle d'apprenti politicien fédéral très au sérieux. Malgré les 28 degrés, ce midi-là, il portait la cravate bien nouée sur une chemise bleue et il consultait, à mon arrivée, un gros cartable intitulé « Réalisations du gouvernement conservateur de Stephen Harper ». Mimétisme, peut-être, mais je ne peux m'empêcher de trouver que Gérard Deltell ressemble physiquement à son chef, Stephen Harper. Mêmes cheveux, même chemise et, évidemment, même discours. Il ne porte pas officiellement le titre, mais il occupe de facto le poste de lieutenant conservateur à Québec.

Dès le début de cette très longue campagne, Gérard Deltell a durement critiqué ses principaux adversaires, les néo-démocrates, en résumant ainsi leur bilan depuis 2011 : « 0 + 0 = 0 ». Une attaque très dure, reflet des rudes batailles sur le terrain.

Le candidat-vedette subit lui aussi les attaques de ses adversaires. On lui reproche, notamment, d'avoir voté, lorsqu'il était député de la Coalition avenir Québec à l'Assemblée nationale, pour le maintien du registre des armes d'épaule (aboli par le gouvernement Harper). « Je faisais partie d'un caucus et j'ai suivi la ligne de mon parti », se défend-il aujourd'hui.

Québec est une des rares régions de la province où les conservateurs peuvent, de façon réaliste, entretenir des espoirs de gain. Les troupes de Stephen Harper misent sur trois circonscriptions : Louis-Saint-Laurent, Portneuf-Jacques-Cartier et Charlesbourg-Haute-Saint-Charles, toutes trois orange depuis 2011, mais considérées comme « prenables » par les bleus. Le Parti conservateur met le paquet dans la région. Le chef est venu déjà deux fois et son lieutenant québécois, Denis Lebel, multiplie les annonces (Thomas Mulcair, chef du Nouveau Parti démocratique, a lui aussi fait deux arrêts à Québec). Mercredi dernier, Denis Lebel et les candidats conservateurs de la région ont visité cinq circonscriptions dans un des autocars de leur chef, faisant une annonce à chaque arrêt, dont un investissement de 75 millions à l'Institut national d'optique.

Ce blitz a fait ombrage à Justin Trudeau, qui s'arrêtait dans la Vieille Capitale pour la première fois de la campagne. Les conservateurs n'ont pas manqué de noter qu'il a fallu 32 jours de campagne avant que M. Trudeau ne visite Québec et qu'il n'avait rien de concret à annoncer pour la région.

Les commentaires de Régis Labeaume, qui a eu un tête-à-tête avec Justin Trudeau le jour même où les conservateurs faisaient pleuvoir les annonces sur la région, n'auront certainement pas aidé les libéraux.

LE « FACTEUR LABEAUME »

Impossible de causer politique à Québec sans parler du « facteur Labeaume ». L'omnipotent maire n'a pas caché sa satisfaction envers le gouvernement conservateur. « On avait quatre demandes pour les élections fédérales et une demande conjointe avec Lévis sur le pont [de Québec]. Les conservateurs viennent de répondre à deux demandes sur quatre. On est très heureux de cela. On trouve que les autres partis sont un peu timides, toutefois. On va leur demander de se dégêner. C'est ce que je vais dire à ceux qui vont venir me visiter », a lancé Régis Labeaume, mercredi, après sa rencontre avec le chef libéral.

Il est probable que le chef du NPD, Thomas Mulcair, rencontre lui aussi le maire, mais rien n'est confirmé pour le moment, dit-on dans son entourage. Il a tout intérêt, lui aussi, à venir faire sa génuflexion à l'hôtel de ville. Chose certaine, les candidats néo-démocrates de la région vont faire des pieds et des mains pour que leur chef revienne à Québec. Avec des annonces concrètes.

En plus des bons mots du maire Labeaume, les conservateurs comptent sur un autre allié objectif : la faiblesse du Bloc québécois. « On a beaucoup parlé de possibles luttes à trois ou même à quatre à Québec, mais dans les faits, ce sont des luttes à deux, explique Gérard Deltell. En 2011, Gilles Duceppe tapait tous les jours sur Harper et cela nuisait aux conservateurs, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. »

Plusieurs facteurs jouent aussi contre les conservateurs. « Mon grand ennemi, ce sont les préjugés contre les conservateurs, dit M. Deltell. On me parle souvent de la présence de la droite religieuse dans le parti, mais où est-elle, cette droite religieuse ? On nous reproche aussi d'avoir coupé 100 millions dans Radio-Canada, mais tout le monde passe sur le fait que les libéraux ont coupé 500 millions quand ils étaient au pouvoir. On a coupé juste 100 millions et le budget de Radio-Canada est encore de 1,2 milliard. C'est beaucoup d'argent, 1,2 milliard. »

Le déclenchement hâtif, en plein été, et la longueur de cette interminable campagne s'ajoutent aussi au passif pour les troupes de Stephen Harper. Difficile, pour des conservateurs, de justifier les coûts supplémentaires d'une si longue campagne.

Les conservateurs font toutefois le pari qu'il sera payant d'avoir muselé les groupes de pression, dont les syndicats, qui préparaient des campagnes de publicité contre eux en déclenchant la campagne aussi tôt.