On dit que la politique n'intéresse plus personne, mais les boîtes de courriel des journalistes et les réseaux sociaux prouvent le contraire.

Ça, c'est la bonne nouvelle. Mais cela cache aussi un côté sombre beaucoup moins intéressant.

Je lis tous les courriels que je reçois, mais je réponds rarement. Manque de temps. Excuse plate, je sais, mais c'est la plate réalité.

En fait, je vais vous faire une confidence (ça vous évitera de perdre votre temps si vous vous reconnaissez dans ce qui suit) : je ne lis pas tous les courriels. Je saute systématiquement ceux qui commencent par « On sait ben, vous chez Gesca... » ou « Vous n'êtes pas objectif » (drôle de chose à dire à un chroniqueur !) ou « Vous êtes tous fédéralistes à la solde de Power à La Presse », quand ce n'est pas « Vous, les journalistes, tous des gauchistes... », « des séparatistes contrôlés par le PQ... » ou « des gras dur syndiqués ».

Sans oublier le proverbial « jupon qui dépasse », LE classique dans les procès d'intention.

Parfois, le même jour, après la parution d'une chronique ou d'un gazouillis sur Twitter, je me retrouve avec une collection de jupons à faire rougir Fanfreluche, et dans une diversité de couleurs à faire pâlir d'envie un arc-en-ciel. Si je m'arrêtais vraiment à tout ce qu'on dit de mes « allégeances » politiques, de mes partis pris et, surtout, de mes innombrables jupons, il y a longtemps que je me serais précipité chez un psychiatre pour faire soigner une grave schizophrénie politique.

On appelle cela des procès d'intention, mais dans le fond, on ne fait pas de procès, on va directement à la condamnation. Devant le tribunal partisan, vous êtes coupable de facto des intentions qu'on vous prête. Même si celles-ci sont réductrices, absurdes ou même totalement fausses. À quoi bon discuter, alors ?

Le problème est là : la partisanerie. J'ai le plus grand respect pour les gens qui militent dans un parti politique, qui s'impliquent dans un mouvement ou pour une option. Je décroche toutefois lorsqu'ils sombrent dans la partisanerie.

La partisanerie, c'est la lobotomie du militantisme : vous perdez votre sens critique, votre libre arbitre, vous vous mettez à répéter des lieux communs, des légendes urbaines et des sophismes. Après quelque temps, vous rejoignez les rangs des adeptes de la théorie du complot, vous confondez arguments et insultes, vous finissez par vous conforter en ne parlant qu'à un petit groupe de gens qui pensent comme vous et avec qui vous passez vos soirées à vous crinquer sur les réseaux « sociaux », comme les membres d'une secte apocalyptique se convainquent chaque jour que la fin du monde est pour demain matin.

Comprenez-moi bien : vous avez tout à fait le droit de ne pas être d'accord avec moi, et je vous encourage à me le faire savoir, mais le dialogue est vain lorsque la partisanerie remplace le jugement.

Le jupon que vous croyez voir dépasser sous la jupe de ceux que vous accusez n'est en réalité que le bandeau qui obstrue votre vue.

Sur la scène provinciale, on note une recrudescence de la partisanerie primaire chez certains souverainistes depuis l'arrivée de leur nouveau chef, Pierre Karl Péladeau. PKP lui-même s'adonne régulièrement à la théorie du complot (il fait une fixation sur la famille Desmarais, notamment) et ne dédaigne pas les attaques partisanes contre ses adversaires.

Cela dit, les péquistes n'ont pas le monopole de la mauvaise foi. Depuis deux jours, des lecteurs m'accusent d'être un vil péquiste à la solde de PKP parce que j'ai osé commettre une chronique nuancée sur les démêlés fiscaux de sa conjointe avec le gouvernement Couillard. Je vous fais grâce de la virulence de certains messages, mais il est clair que certains devraient couper un peu dans la caféine et se mettre à la camomille. Pas sûr que ces gens ont lu toute la chronique, mais comme je ne plantais pas le couple PKP-Julie, c'est nécessairement que je suis de leur côté.

La paranoïa est aussi présente sur la scène fédérale. Lorsqu'on a appris, il y a quelques jours, que l'ex de TVA Réjean Léveillé se présentait pour le Parti conservateur, j'ai tweeté un commentaire (caricatural, j'en conviens) voulant qu'un journaliste avec Harper, c'est comme un écolo en Hummer. On m'a alors accusé de mépriser des gens qui ne pensent pas comme moi et de cracher sur la droite.

Nuances (je sais, je sais, c'est souffrant les nuances) : je n'ai jamais parlé de droite ou de gauche. Pas plus que je n'ai ridiculisé Réjean Léveillé, Gérard Deltell ou Pascale Déry. Au contraire, je salue leur engagement politique et leur courage de « mettre leur photo sur une pancarte ». Tout ce que j'ai dit - et je persiste et je signe - c'est qu'il est ardu, pour un journaliste, de défendre les couleurs d'un parti qui a fait reculer de façon draconienne l'accès à l'information.

Même l'attachée de presse de Stephen Harper, Catherine Loubier, a ajouté sa voix au procès d'intention. « Maintenant nous savons où vous vous logez comme journaliste », m'a-t-elle écrit sur Twitter.

Où je loge, Mme Loubier ? À la même adresse que la grande majorité de mes collègues journalistes : transparence, libre circulation de l'information et liberté d'expression. Et le plus loin possible de la partisanerie.