Le chien est le meilleur ami de l'homme... pourvu que cet homme n'ait pas la drôle d'idée de visiter un parc québécois.

La province interdit en effet aux animaux domestiques de franchir la guérite des parcs nationaux avec leur maître. Tous les parcs. Sans exception. Comme je me le suis fait dire ces dernières semaines.

Je pensais profiter de ces grands espaces naturels avec ma blonde et pitou, cet été. Mais faudra que je laisse ce dernier à la maison. Paraît que lui et ses camarades dérangent, paraît même qu'ils sont «vecteurs de maladies»...

Curieux. L'Ontario le permet. Le fédéral le permet. Les États-Unis le permettent. Mais allez comprendre, le Québec tient à cultiver son caractère distinct là aussi.

Comme si notre faune était plus vulnérable... ou nos chiens plus malades et incontrôlables.

La bonne nouvelle, c'est qu'en appelant à la SEPAQ, j'ai compris que j'étais loin d'être seul à trouver cette résistance curieuse. Et qu'à force de se plaindre ces dernières années, les propriétaires de chiens ont enfin trouvé une oreille attentive...

La Société, ai-je appris, espère bientôt ouvrir la porte de certains parcs aux chiens. «On regarde ce qui se fait ailleurs, notamment à Parcs Canada, car c'est un sujet qui revient constamment, m'a confirmé Lucie Boulianne, porte-parole. Ça fait un an qu'on travaille sur le projet de manière franche.»

«Ça pourrait d'abord prendre la forme d'un projet-pilote dans certaines zones précises, pour voir comment ça se vit. Il est trop tard pour cet été, mais on devrait proposer quelque chose incessamment, au courant de l'année.»

Tant mieux! Ça fait seulement deux ans que pitou est dans ma vie, mais ça fait longtemps que je rêve de faire de la marche en montagne avec un chien. Depuis ces voyages dans les Adirondack où je croisais des randonneurs à quatre pattes gravissant le mont Marcy. Fougueux, volontaires, enjoués.

Rien de plus normal, après tout, que de vouloir profiter du grand air avec tous les membres de la famille.

Rien de plus normal aux États-Unis, en tout cas. Au Canada. En Europe. Mais il m'a fallu entrer dans la secte des propriétaires de chiens pour réaliser que c'est loin d'être le cas ici.

Car le Québec entretient un rapport trouble avec les animaux domestiques, voyez-vous. Comme s'ils ne faisaient pas partie de la société, qu'ils n'étaient pas partie intégrante de la maisonnée, de la cellule familiale, du ménage...

Comme s'ils étaient... des meubles, finalement. Voilà d'ailleurs pourquoi le ministre Pierre Paradis a déposé un projet de loi au début du mois: pour faire en sorte que les animaux soient enfin considérés comme des êtres doués de sensibilité, capables de jouir et de souffrir, ayant comme nous des besoins et des impératifs biologiques.

Ce projet de loi concerne la maltraitance, je sais bien, pas la présence des chiens dans les parcs. Mais à la base, on retrouve la même chose: la place qu'on leur donne dans la société... ou pas.

On m'en avait parlé, mais il m'a fallu ajouter une petite bête poilue à la maisonnée pour réaliser à quel point on nous incite à la garder à la maisonnée, justement.

Les chiens ne sont pas les bienvenus dans les parcs nationaux et plusieurs campings. Ils sont refusés dans bien des hôtels. Ils ne sont pas accueillis sur les terrasses, encore moins dans les restaurants.

On m'a déjà demandé de garder pitou à l'extérieur de la terrasse, au bout de sa laisse, pour s'assurer qu'il ne dérange pas les trois personnes assises à côté de moi... mais plutôt les centaines de piétons qui foulaient le trottoir.

Aurait-on un problème avec les animaux? J'ai posé la question à Florence Meney, propriétaire de chiens, Française d'origine, auteure du livre À l'autre bout de la laisse. «Au Québec, la place du chien est très circonscrite, a-t-elle confirmé. Comme si on jugeait qu'il était un intrus, non pas un élément sympathique et vital d'un monde de différences, de diversité.»

«C'est peut-être le reliquat d'une société rurale qui voit l'animal comme un outil de travail, a-t-elle suggéré. En France, le chien est plutôt vu comme un compagnon bien intégré, presque un appendice à l'humain, que l'on traîne partout. Même au resto. Ici, il est condamné à renifler des derrières dans des parcs à chiens pleins de crottes...»

La conséquence se vit en ville. Elle se vit en région. Et elle se vit dans les parcs nationaux, encore aujourd'hui, malgré une fréquentation en baisse depuis cinq ans.

La SEPAQ refoule ainsi des visiteurs potentiels. Et elle éloigne des touristes qui se résignent à visiter les provinces voisines sous recommandation des associations de caravaning américaines.

Ce sont donc des milliers de propriétaires de chiens que la SEPAQ pourrait rendre heureux en ouvrant ses portes. Mais aussi des milliers de bêtes à qui, du coup, le Québec ferait un tout petit peu plus de place.