Les rapports des Québécois avec la Caisse de dépôt et placement (CDP) du Québec ne sont jamais simples. D'un côté, ils veulent que ce fleuron du modèle québécois soit une institution exemplaire, aussi performante que les autres grands fonds auxquels elle peut se comparer. De l'autre, ils voudraient qu'elle soit aussi un bon Samaritain, capable de soutenir les entreprises québécoises quand elles ont besoin d'aide.

Cette ambivalence, on la retrouve dans le double mandat de la CDP. Sa mission première est d'obtenir du rendement pour faire fructifier les épargnes qui lui sont confiées, notamment par la Régie des rentes, mais elle a aussi pour mandat de contribuer au développement du Québec. Les deux objectifs ne sont pas nécessairement contradictoires, loin de là, mais il existe un flou, une zone grise. Où tracer la ligne ?

Cette question se pose d'autant plus que les deux grands partis d'opposition, le Parti québécois et la Coalition avenir Québec, proposent une vision plus interventionniste de l'État où la CDP jouerait un rôle plus actif, notamment pour la protection des sièges sociaux, comme on l'a vu lors de leurs appels à une intervention de la Caisse lors la vente du Cirque du Soleil.

Ce débat a refait surface à la mi-juin dans le sillage d'une nouvelle du Globe and Mail selon laquelle la Caisse aurait imposé, en février dernier, des exigences à Bombardier pour participer à l'émission d'actions de cette entreprise. Elle aurait réclamé que Bombardier réduise de dix à six le nombre de droits de vote de ses actions à droits de vote multiples.

Cette nouvelle a suscité de multiples réactions. On y a vu les signes d'une offensive de la CDP contre les actions multivotantes, mais on y a aussi décelé une certaine arrogance de cette société d'État qui se servirait de sa taille et de ses ressources pour imposer ses règles du jeu. Mais il y avait quelque chose de bizarre dans cette nouvelle, reposant sur une source anonyme, et sur le débat qu'elle a déclenché.

Il est vrai que, dans sa politique officielle, qui est publique, la CDP privilégie les actions à vote unique, et lorsqu'il y a des droits de vote multiples, elle préconise de les limiter à six par action. Mais dans cette même politique, la CDP note aussi que cette structure de capital peut être bénéfique dans certaines situations et ajoute qu'elle n'y fait pas d'objection systématique et qu'elle évalue la situation cas par cas. Plusieurs entreprises dans lesquelles elle détient des positions importantes - Power, CGI, ou Aliments Couche-Tard - sont d'ailleurs dans une telle situation sans que la société d'État s'y oppose.

Il serait étonnant que la CDP ait voulu mener une bataille de principe sur cette question dans le cas précis de Bombardier quand elle ne le fait pas pour d'autres. Cela suggère que les informations qui ont filtré étaient incomplètes.

Il est clair qu'il y a eu des discussions entre la Caisse et Bombardier, qu'elles n'ont pas abouti et que Bombardier a finalement choisi de se financer autrement. Cela permet de croire que la société d'État avait assorti sa participation au financement - on parle de 250-300 millions sur le total de 600 - de conditions que l'entreprise n'a pas acceptées.

Quelles conditions ? Il ne faut pas être un grand devin ou un grand analyste financier pour supposer qu'en toute logique, elles portaient bien davantage sur le redressement de Bombardier - qui traverse des moments difficiles et dont les résultats boursiers sont décevants - que sur les droits de vote.

La question que l'on doit se poser, c'est s'il est normal et souhaitable que la CDP, lorsqu'elle investit à long terme dans une entreprise, veuille pousser cette entreprise à améliorer sa performance. Est-ce de l'arrogance ? Je crois plutôt qu'en prenant les moyens pour protéger ses investissements et augmenter son rendement, tout en jouant un rôle actif d'accompagnement, la Caisse de dépôt respecte l'esprit et la lettre de sa double mission.