À un certain niveau, c'est vrai. Le fait que le chef du Parti québécois soit l'actionnaire de contrôle de Québecor colore certainement la perception que j'ai de lui, moins en raison de l'existence de cette concurrence, toutefois, qu'en raison de la culture de l'information que M. Péladeau incarne à travers plusieurs de ses médias, passés et présents, dont Le Journal de Montréal, Sun Media et certains magazines à potins.

J'ai écrit quelques chroniques sur Pierre Karl Péladeau ces derniers mois. À chaque fois, il se trouve des lecteurs pour me reprocher d'être en conflit d'intérêts, à cause de la concurrence entre La Presse et Québecor.

J'ajouterais que ce genre de facteurs n'a rien d'unique. Les journalistes ne sont pas neutres. Ce sont des êtres humains, avec leurs goûts, leurs expériences, leurs convictions. Les règles d'éthique n'ont pas pour but de les transformer en robots insensibles, mais plutôt de faire en sorte que leur bagage personnel n'affecte pas leur rigueur et leur honnêteté.

J'ajouterais aussi qu'en tant que chroniqueur, je fais du journalisme d'opinion où je défends des idées. L'une d'entre elles, c'est que je ne crois pas que l'indépendance du Québec soit souhaitable, comme d'ailleurs une majorité des Québécois. Il est donc difficile pour moi d'être enthousiaste quand un politicien se définit par sa détermination à faire du Québec un pays. Bien plus que la concurrence Gesca-Québecor, cela explique pourquoi je suis moins porté à l'indulgence envers M. Péladeau qu'envers certains de ses prédécesseurs, comme Lucien Bouchard ou André Boisclair.

J'ajouterais enfin, parce que je suis à La Presse depuis bientôt quarante ans, que cette tension entre les deux groupes de presse me semble être un phénomène relativement récent. Il y a toujours eu une concurrence de bon aloi entre La Presse et Le Journal de Montréal. Mais elle s'est exacerbée sous la gouverne de Pierre Karl Péladeau, d'un naturel vindicatif, contrairement à son père, et pour qui un concurrent se transforme en ennemi, comme on a pu aussi le voir dans ses rapports belliqueux avec Radio-Canada ou Bell.

Si je suis en conflit d'intérêts, je ne suis pas le seul.

C'est encore plus vrai des journalistes du Journal de Montréal ou de TVA. Même si M. Péladeau établit une fiducie sans droit de regard, c'est leur ancien patron et il le redeviendra un jour. Les journalistes de Radio-Canada aussi, en concurrence avec TVA, qui ont dû subir les attaques répétées de M. Péladeau contre la télévision d'État et ses dirigeants. Ceux du Devoir aussi, distribué par Québecor.

Bref, la suggestion que m'ont faite certains lecteurs de ne pas écrire sur M. Péladeau mènerait à une très étrange situation. En poussant cette logique jusqu'au bout, il n'y a pas un journaliste qui pourrait parler de celui qui est chef de l'Opposition et, peut-être un jour, premier ministre. Convenons que ça pose problème. Cela permet d'illustrer, par l'absurde, l'anomalie de la situation dans laquelle le Québec se trouve.

Il faut aussi noter que tous ces journalistes ne se sont pas placés eux-mêmes en conflit d'intérêts. C'est une situation dont ils ne sont pas responsables et qu'ils n'ont pas voulue. Elle leur a été imposée par la décision d'un baron de presse qui a choisi de faire le saut en politique même s'il contrôlait une part importante de l'information et même s'il voulait rester propriétaire de ses médias.

Il y a une autre façon d'illustrer cette anomalie. Il suffit de se demander comment ceux qui ne voient pas en quoi la multiplicité des chapeaux de M. Péladeau pose problème - pensons par exemple à l'ancien premier ministre Bernard Landry - réagiraient si un des dirigeants de Power Corporation, André ou Paul Desmarais, avait la mauvaise idée de briguer la direction du PLQ. Je suis convaincu qu'ils s'étoufferaient d'indignation.