Les mots ont un sens. On semble parfois l'oublier, parce que le débat public est plus polarisé qu'avant, que les courants d'idées marginaux sont plus visibles, et certainement parce que les politiciens, qui devraient donner l'exemple, ont transformé les parlements en cirque.

On a un bel exemple de cette perte de sens avec l'utilisation de plus en plus fréquente du mot démantèlement pour décrire les politiques d'austérité du gouvernement Couillard. Le mot s'est installé dans le discours public, et derrière le mot, il y a une idée, qui finit par faire son chemin, celle que les politiques d'austérité, ou de rigueur, du gouvernement Couillard mènent à un démantèlement de l'État québécois et de ses programmes.

Mais si les mots ont un sens, il faut se demander ce que signifie démantèlement. Le Petit Robert le définit comme « l'action de démanteler » et propose des synonymes, « anéantissement » et « destruction ». Et le verbe démanteler ? À l'origine, il signifiait « démolir les murailles, les fortifications ». Par extension, il veut dire abattre, détruire, anéantir.

C'est donc un terme très fort. Selon ces définitions, quand on démantèle quelque chose, il n'en reste plus rien. Par exemple, le pont Champlain sera démantelé. Mais l'appareil public québécois a-t-il été anéanti ? A-t-il disparu ou disparaîtra-t-il ?

On peut déplorer la volonté du gouvernement libéral d'éliminer le déficit dès cette année, critiquer ses choix de compressions, dénoncer le fait que certaines clientèles soient plus touchées que d'autres. Chacun a sa liste. Mais ceux qui sont contre ce plan financier disposent d'une foule de mots : ils peuvent dire que l'austérité affaiblit nos réseaux, qu'elle les dénature, qu'elle menace son intégrité, qu'elle est contraire à nos valeurs.

Mais ç'a l'air un peu fou de parler du démantèlement d'un appareil d'État dont les dépenses augmentent, pour passer de 86,8 à 88,1 milliards cette année. 

Bien sûr, cette hausse, très faible, couvre à peine l'inflation et ne suffit pas à financer la hausse naturelle des dépenses. Cela implique des choix, et la réduction ou la modification de certains services. Dans un scénario du pire, où il n'y aurait aucune économie possible dans l'ensemble de l'appareil d'État, cela mènerait à une réduction des services d'au plus 1,5 %. En plus, à ma connaissance, les grands programmes qui définissent l'État québécois - éducation, santé, culture, aide sociale - sont peut-être un peu touchés mais ils sont toujours bien en place.

Qui utilise donc ce mot qui décrit si mal ce qui se passe ? D'abord la gauche, l'ASSÉ ou Amir Khadir. Mais surtout les trois grandes centrales syndicales, FTQ, CSN et la CSQ, ce qui reflète un phénomène connu, la radicalisation du discours syndical en période de négociation difficile. « Il faut stopper le démantèlement de l'État québécois », dit par exemple le président de la FTQ. Les communiqués du 1er mai parlaient tous du « démantèlement de notre système de santé et de services sociaux », etc., etc.

Certains politiciens ont repris l'expression, comme le chef intérimaire du Parti québécois, Stéphane Bédard, pas connu pour faire dans la dentelle, ou encore par la candidate à la direction du PQ Martine Ouellet, qui ne se distingue pas non plus par son sens de la modération.

Il y a cependant des cas où le terme peut être approprié. Par exemple, Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN, a raison de l'employer. Pourquoi ? Parce qu'il estime que la loi 10, qui réorganise le réseau de la santé est « la pièce maîtresse qui permettra d'accentuer la privatisation en santé et services sociaux ». Sur le plan lexicologique, comme il croit aux théories du complot, il peut effectivement parler de démantèlement, même si, sur le plan des idées, c'est parfaitement idiot.

Mais je m'inquiète surtout pour l'avenir. Si on parle de démantèlement de l'État quand il continue à croitre, qu'arriverait-il si un gouvernement décidait de vraiment réduire le rôle et la taille de l'État ? On manquerait de mots...