Ce n'est pas moi qui verserai une larme pour l'Agence métropolitaine de transport. J'ai déjà titré un texte «L'AMT a fait son temps»... en 2005. Imaginez.

Oui, l'Agence a rendu de fiers services en 20 ans d'existence. Elle a une solide équipe. Elle a permis de développer le train de banlieue. Elle a échafaudé le début d'une vision régionale du transport collectif.

N'empêche, je n'ai jamais été grand amateur de ce paravent. Paravent partisan, qui a permis à certains de dévoyer l'AMT avec une facilité déconcertante. Et paravent politique, qui a permis aux ministres de couper des rubans devant les caméras, mais de se réfugier derrière l'AMT au premier problème.

Et Dieu sait qu'il y en a eu, des problèmes...

La proximité politique dont on n'a pas encore le fin mot. Les chiffres douteux d'achalandage du train léger sur Champlain. Le fiasco du Train de l'Est, qui a coûté plus du double de l'estimation. Et le fameux service rapide par bus (SRB) Pie-IX, dont on n'a pas encore vu la couleur.

«Istanbul a fait son SRB en 84 semaines, m'a déjà fait remarquer l'ancien patron de la STM Michel Labrecque. Nous, on aura besoin de 84 mois...»

Il est temps de passer à autre chose. Temps d'en profiter pour faire le grand ménage dans le fouillis de structures, de sociétés, de machins, de partenaires et de patentes stratégiques qui plombent les transports en commun dans la région depuis trop longtemps.

Tous les ministres des Transports ont eu la volonté de faire le ménage. Tous ont été retardés, voire découragés.

Et voilà que le ministre Robert Poëti réussit à pousser une réforme plus loin que ses prédécesseurs. Réforme qui sera approuvée mercredi par le Conseil des ministres. Bravo.

En gros, elle consiste en un geste fort: distinguer la planification de l'opération.

La planification sera la responsabilité de l'Autorité régionale de transport (ART, nom provisoire qu'on utilise déjà en coulisse). Une société supramunicipale qui relèvera des élus (la CMM).

Le gouvernement se retire donc de la gestion quotidienne des transports en commun. Il confie aux maires de la région la planification, la tarification et le développement du réseau.

Quant à l'opération, elle sera regroupée en quatre sociétés: une à Montréal, une à Longueuil, une à Laval, ainsi que le «Réseau des transports métropolitains» (RTM) qui résultera de la fusion des actuels conseils intermunicipaux. Ce dernier héritera aussi de l'opération des trains de banlieue.

En un mot, on fait le ménage. Enfin.

La réforme Poëti est nécessaire, donc. Mais elle est malheureusement viciée dans ses fondements mêmes.

Je vieux bien qu'on simplifie, qu'on allège, qu'on donne de la cohérence aux organisations de transports en commun. Si le SRB ne roule toujours pas sur Pie-IX, c'est qu'il y a trop d'acteurs et d'intérêts autour de la table.

Mais transférer l'ensemble des responsabilités des transports en commun aux élus de la région, c'est une grave erreur qui continuera de miner le développement du réseau pour des années à venir.

En 15 ans d'existence, la CMM n'a qu'une seule réussite à son actif, un plan d'aménagement. Rien d'autre. Elle a toujours été incapable de s'élever au-dessus des intérêts locaux de ses membres. Et on s'apprête à lui donner la planification de tout le réseau de la région! Incluant celui de la STM à Montréal!

Quelqu'un se souvient de la paralysie de l'ancienne Communauté urbaine de Montréal? De la petite bière en comparaison.

Le problème, c'est qu'il y a un énorme vice caché au coeur même de la réforme: la composition du conseil d'administration de l'ART, qui doit être composé de 13 membres: 6 experts indépendants, 6 élus, et un président nommé par Québec... sur recommandation des maires.

Faites le calcul: les élus municipaux ont le contrôle. Une avenue qu'ont empruntée Toronto et Vancouver ces dernières années, avant de reculer en catastrophe. Aujourd'hui, leurs conseils sont composés d'une majorité d'experts indépendants. À Toronto, on a même fait table rase: 100% des membres sont indépendants!

Et le gouvernement Couillard s'apprête à tomber dans le panneau... avec la complicité de qui? Des maires de la région, trop contents de rapatrier des pouvoirs auxquels on promet d'attacher de nouvelles sources de revenus.

Cela me fait d'autant plus peur que le gouvernement souhaitait huit membres indépendants au conseil de l'ART, ai-je appris, ce que les maires ont refusé net. Pour garder le contrôle. Même chose à la RTM, me dit-on.

Cela dit, il n'est pas trop tard pour corriger ce vice caché. On vise l'élaboration d'un projet de loi pour l'automne, son adoption d'ici Noël, il y aura ensuite un comité de transition, puis la fusion, vers le mois d'octobre 2016.

Une fusion nécessaire. Mais avec un conseil formé d'experts indépendants, de grâce, pour éviter de remplacer un fouillis par un nid de chicanes.