Il ne s'agit pas d'une fable, mais il y a une leçon à en tirer. Une petite organisation naturaliste a remporté une victoire importante cette semaine quand la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé la décision d'un tribunal administratif de bloquer la construction d'un parc éolien en raison des risques pour une espèce menacée, la tortue mouchetée.

Le parc éolien projeté comprendrait neuf turbines installées dans un milieu humide à Ostrander Point, sur la rive nord du lac Ontario. Le ministère provincial de l'Environnement a donné le feu vert au projet, mais les amants de la nature de la région ont contesté cette approbation.

L'Ontario, comme le Québec, fait tout pour faciliter le développement des énergies renouvelables. Notamment, la loi impose à quiconque veut empêcher un projet de démontrer que celui-ci causera «des dommages graves et irréversibles à des végétaux, à des animaux ou à l'environnement naturel». Il s'est révélé très difficile de faire la démonstration que les dommages causés seront «irréversibles». Dans le cas du projet d'Ostrander Point, les naturalistes n'ont pu convaincre les tribunaux de la gravité des menaces pesant sur plusieurs animaux et plantes. Seuls les dégâts que pourrait subir la population de tortues mouchetées ont paru irrémédiables aux yeux des juges.

Il faut dire que cette tortue est particulière. Sa gorge jaune vif et sa face «souriante» suscitent spontanément la sympathie des humains. Surtout, son comportement la rend très vulnérable. Afin de trouver un partenaire, puis d'installer son nid, la femelle parcourt des centaines de mètres. À Ostrander Point, ce ne sont donc pas les éoliennes qui posent problème, mais les 5,4 kilomètres de routes qui seraient aménagées au beau milieu de l'habitat des tortues. Celles-ci devraient nécessairement franchir ces chemins, devenant des cibles faciles pour les prédateurs, animaux ou humains. Sans compter les risques d'être écrasées par un véhicule.

Le jugement de la Cour d'appel a encouragé d'autres groupes qui combattent des projets éoliens dans l'Ontario rural. L'avocat et écologiste Stephen Hazell, de Nature Canada, déplore le comportement de certaines entreprises d'énergie éolienne. «Nous sommes en faveur des énergies renouvelables, évidemment. Cependant, l'industrie éolienne a eu carte blanche et a fait preuve d'une certaine arrogance», a-t-il dit à La Presse.

C'est la morale de l'histoire: ce n'est pas parce l'énergie éolienne est verte qu'on peut installer des turbines n'importe où. Ainsi, on se demande comment une entreprise a pu avoir l'idée de planter 36 éoliennes d'un bout à l'autre de l'île Amherst, un site naturel et patrimonial exceptionnel. L'île est connue mondialement pour ses populations de hiboux. Les opposants parviendront-ils à démontrer que ces splendides oiseaux subiront des dommages «irréversibles» ?

Peut-être devront-ils se tourner vers une autre espèce habitant l'île: la tortue mouchetée.