Les élections auront lieu le 19 octobre prochain, dans cinq mois. Il était inévitable que le gouvernement conservateur se serve du moment fort de la vie parlementaire qu'est un discours du budget pour donner le coup d'envoi aux hostilités préélectorales.

Le fait que le budget déposé hier par le ministre fédéral des Finances, Joe Oliver, ait un parfum électoral se voit d'abord à l'atteinte de l'équilibre budgétaire cette année - de façon téméraire, en pigeant dans sa réserve - pour rappeler aux électeurs qu'il a tenu sa promesse et pour renforcer son image de gestionnaire responsable. Ce même contexte mène au classique saupoudrage de bonbons pour un peu tout le monde.

Mais la politisation du budget va beaucoup plus loin. On assiste à quelque chose de plus profond, à une perversion du processus budgétaire que l'on pourrait décrire comme du profilage fiscal. Comme si le ministre des Finances s'était moins entouré de fiscalistes, d'économistes et d'experts en finances que de spécialistes en sondages et en marketing.

Sur le plan idéologique, le gouvernement Harper est partisan des baisses d'impôt, ce qu'il rappelle abondamment dans ses documents budgétaires qui prennent souvent l'allure de pamphlets partisans. Mais en général, les gouvernements qui veulent réduire le fardeau fiscal cherchent aussi à améliorer le régime fiscal, à le rendre plus équitable, plus simple, plus transparent, et à en réduire les effets économiques négatifs.

La démarche conservatrice va très exactement dans le sens contraire. Elle consiste, dans un premier temps, à cibler les segments de la population qui l'on voudrait séduire, en fonction de leur potentiel électoral, pour ensuite trouver des mesures fiscales qui pourraient les satisfaire. C'est comme ça que le gouvernement Harper a réduit la TPS, au mépris de toute cohérence économique.

Cette stratégie du profilage fiscal est manifeste dans les principales mesures qui absorbent la marge de manoeuvre dont disposait Ottawa cette année. Le fait que plusieurs d'entre elles avaient déjà été annoncées par le premier ministre Stephen Harper en octobre dernier, dans une assemblée politique, et non pas dans le budget d'hier, illustre d'ailleurs le calcul partisan qui a présidé à leur élaboration. Le résultat, ce sera un système fiscal un peu plus complexe, moins équilibré et plus incohérent qu'avant.

Le fractionnement du revenu, une idée chère aux conservateurs, mais critiquée de toutes parts, même par l'ex-ministre des Finances Jim Flaherty, pourra permettre un crédit d'impôt de 2000$ avec la formule annoncée par M. Harper en octobre. Ce cadeau s'adresse aux familles biparentales, et davantage encore à celles où la mère reste à la maison, des familles traditionnelles que courtisent les conservateurs.

La bonification de la prestation universelle pour la garde d'enfants est également un produit du profilage. Elle vise les familles avec enfants et le fait avec une pirouette électoraliste: les chèques, qui passeront de 100$ à 160$ par mois pour les enfants de moins de 6 ans, et de zéro à 60$ pour les enfants de 6 à 17 ans, seront mis à la poste le 1er juillet, quelques semaines avant de déclenchement de la campagne électorale.

L'augmentation du plafond du CELI de 5500$ à 10 000$, la seule mesure nouvelle d'importance qui n'avait pas été annoncée avant le dépôt du budget, est également le produit d'un ciblage politique. Cette mesure profitera aux plus fortunés, capables d'épargner 10 000$ par année. Soixante pour cent d'entre eux sont des aînés, selon les données du budget. Une autre clientèle cible.

Avec ce train de mesures, les conservateurs n'ont pas seulement fait du profilage fiscal. Ces cadeaux, qui coûteront 4,8 milliards cette année, ont effacé la marge de manoeuvre à Ottawa. Cela mettra les partis de l'opposition dans une situation très inconfortable où ils devront éliminer ces baisses d'impôt pour financer leurs propres engagements. Appelons cela un piège fiscal.