Le mois prochain, les militants du Parti québécois éliront leur prochain chef, un peu plus d'un an après la défaite du gouvernement de Pauline Marois. Notre chroniqueur a suivi et rencontré les cinq aspirants et vous les présente en rafale toute la semaine (par ordre alphabétique). Qui sont-ils? D'où viennent-ils? Que veulent-ils accomplir et comment? Aujourd'hui: Bernard Drainville.

On avait dit 7h30, à la salle à manger de mon hôtel de Québec. Lorsque je suis descendu, à 7h25, Bernard Drainville était déjà attablé depuis 10 minutes, en train de brasser des documents et de répondre à ses courriels.

Ça doit être ses vieux réflexes d'animateur à la télé: Bernard Drainville est réglé comme une montre suisse et il débarque toujours avec une pile de documents (vous devriez voir ses codes de couleur sur ses feuilles!). On dirait qu'il est toujours prêt à entrer en ondes.

Les trois dernières années ont été éprouvantes pour Bernard Drainville, mais l'ancien animateur de La part des choses est encore là, entier. Assagi et marqué par les épreuves, mais certainement pas abattu.

«Après les élections, bien des gens disaient: Drainville est brûlé! Mais Drainville n'est pas brûlé. Au contraire! lance-t-il. Le débat sur la charte des valeurs a été dur sur le plan personnel, mais j'en suis sorti plus fort.»

Dès le début de la course, il a présenté une version allégée de la charte de la laïcité, biffant l'interdiction faite aux employés de l'État de porter un signe religieux.

«Je continue de penser que le modèle de multiculturalisme canadien n'est pas la solution au Québec. La laïcité est un bon cadre pour y arriver», dit-il.

Les appuis récents, dont celui de son collègue Sylvain Gaudreault, sa tenue dans les débats et les rencontres avec les militants péquistes partout au Québec lui donnent confiance, malgré l'avance présumée de Pierre Karl Péladeau.

«S'il y avait un vote maintenant, il y aurait certainement un deuxième tour. On a une course! lance-t-il. Les débats ont relancé la course. Les salles sont pleines et des milliers de gens suivent les débats sur internet. Si la course était finie, il n'y aurait pas autant de gens qui suivraient les débats.»

On a dit au cours des dernières semaines que Bernard Drainville et Alexandre Cloutier se battent pour la deuxième place.

«Je ne me suis jamais battu pour finir deuxième, réplique-t-il. Le débat sur la charte m'a testé. Si les membres du PQ cherchent quelqu'un qui est prêt à être chef demain matin, prêt à débattre avec Philippe Couillard, prêt à gagner un débat et une campagne électorale, les combats que j'ai menés devraient être une source de confiance. Il n'y a pas que la charte, j'ai aussi fait adopter en dix-huit mois trois projets de loi à l'unanimité à l'Assemblée nationale.»

M. Drainville refuse de viser directement un rival et il affirme que le PQ ne doit pas sortir «trop magané» de cette course. Il se permet toutefois cette mise en garde aux militants: «Personne ne devrait recevoir un chèque en blanc. Si tu veux être chef, tu dois nous dire c'est quoi ta vision de la social-démocratie, c'est quoi ta vision du Québec.»

Au moment de notre rencontre, Bernard Drainville venait d'achever un déplacement de 2500 km en voiture en 9 jours dans l'est du Québec et sur la Côte-Nord. «L'équivalent de Montréal-Miami, en fait plutôt l'équivalent de Montréal-Winnipeg», dit-il en faisant référence aux rudes conditions hivernales.

Bernard Drainville aime les gens, et ceux-ci le lui rendent bien. Orateur naturel au style populiste - «presque la prestance d'un chef d'État», dit de lui son adversaire Pierre Céré -, il sait capter l'attention. Il affirme par ailleurs avoir appris beaucoup depuis son arrivée en politique, en 2007.

«J'ai pris de la maturité, souligne-t-il. J'ai appris à faire de la politique et j'ai appris à jouer en équipe. Je n'étais pas un bon joueur d'équipe, j'arrivais du journalisme, qui est un sport de solitaire.»

À la défense de la social-démocratie

Dans cette course, M. Drainville fait le pari de se présenter, d'abord, comme le prochain «chef de l'opposition à l'austérité». Il est le seul candidat dans cette course à demander au gouvernement libéral de repousser le déficit zéro d'un an. «C'est par souci de cohérence, explique-t-il. Tu ne peux pas dire que ça fait trop mal aux familles, qu'on va maganer nos infirmières et nos profs, et ne pas proposer le remède.»

Encore là, il ne vise personne en particulier, mais il affirme que le prochain chef du PQ doit être le gardien de la social-démocratie et qu'il doit être clair sur ses intentions référendaires.

«La course, c'est l'occasion de se recentrer sur notre âme sociale-démocrate. Si tu es social-démocrate, tu dois défendre les services publics, et c'est le temps de les défendre. La social-démocratie, c'est la justice sociale, le développement économique et, de plus en plus, l'environnement.»

Pour ce qui est d'un futur référendum, son approche suscite bien des débats au sein du PQ. Le plan consiste à faire la promotion de la souveraineté d'ici aux prochaines élections et de laisser savoir aux Québécois, six mois avant le scrutin, si le PQ s'engage à tenir un référendum. M. Drainville vante la clarté de cette démarche, mais ses adversaires lui reprochent de faire de la stratégie ouverte.

Le matin de notre rencontre, il se préparait à présenter son plan pour «sortir le Québec du pétrole» d'ici 2050.

Il s'enflamme en parlant des superpétroliers qui circulent sur le fleuve, dont la coque, alourdie par le brut, glisse à six pouces du fond. «On prend des risques énormes, lance-t-il. Tu imagines s'il y a un accident? Des tonnes de brut dans les glaces, le fleuve pollué de port en port?»

Ce qui offusque encore plus Bernard Drainville, c'est que le transport du pétrole est de compétence fédérale. «Nous sommes contre le pipeline d'Énergie-Est, contre les superpétroliers, mais le fédéral a le pouvoir de nous les imposer. Bien des gens se disent que s'il faut se séparer pour éviter ça, eh bien, on se séparera!»

M. Drainville croit même que l'opposition au pétrole pourrait ramener les jeunes au PQ.

«Les gens disent souvent que nous n'avons plus de projet de société, eh bien, se sortir du pétrole, c'est un maudit beau projet de société. Cela peut redonner une pertinence et un élan au mouvement souverainiste parce qu'on le rattache à quelque chose qui a de la gueule. On peut ramener les jeunes au PQ en leur suggérant de construire la première économie verte des Amériques.»

Qui est-il

• 51 ans

• Né à l'Île-Dupas

• Député de Marie-Victorin depuis 2007

• Ministre dans le gouvernement Marois de 2012 à 2014

• Journaliste à Radio-Canada (chef du bureau parlementaire de Québec, animateur, correspondant au bureau parlementaire à Ottawa, correspondant à Mexico)

• Études: baccalauréat à l'Université d'Ottawa et maîtrise à la London School of Economics

• Modèle politique: René Lévesque. «Je suis venu au monde politiquement avec René Lévesque. C'était un homme intègre qui savait toucher les gens. J'avais 13 ans lorsqu'il a pris le pouvoir. Je m'en souviens encore, nous étions toute la famille dans la grosse Newport jaune lorsqu'on a appris que Gérald Godin avait battu Robert Bourassa dans Mercier...»