Le mouvement de protestation contre la hausse des tarifs d'électricité qui entrait en vigueur mercredi m'a laissé un peu perplexe. Une manifestation dans les rues, ensuite un vaste blackout symbolique où des milliers de clients ont fermé l'interrupteur de leur entrée électrique pendant une heure. Pourquoi? Pour exprimer leur colère contre une hausse moyenne de 44$ par année.

Il est vrai qu'il s'agit d'une hausse de 2,9%, soit plus que le rythme de l'inflation, prévu à 1,4% cette année. Un ajustement des tarifs à l'inflation aurait représenté 21$. Autrement dit, la hausse de mercredi dépasse de 23$ par année ce qui aurait été considéré comme normal. Quarante-quatre cents de plus par semaine pour se chauffer, s'éclairer, avoir de l'eau chaude, faire rouler les électroménagers. Quand on pense que le prix d'un seul plein d'essence peut exploser de 6$ en une seule journée ou qu'il y avait des choux-fleurs à 5,99$ cette semaine.

Pourtant, la chose semble si grave que même le ministre de l'Énergie, Pierre Arcand, a dit comprendre la frustration. J'en déduis plutôt que les gens ont la frustration facile, qu'on a perdu le sens des proportions, et qu'un des traits de la culture québécoise, c'est d'être chialeux.

Bien sûr, tout cela s'inscrit dans un contexte, des hausses des tarifs d'électricité à répétition, des mesures d'austérité qui créent des incertitudes et du mécontentement. Dans cette période de rigueur budgétaire, il n'y a pas grand-chose à faire sinon pester et maugréer. Un peu comme on le fait avec cet hiver qui ne veut plus finir.

Ça donne des incidents comme cette surréaction à la hausse des tarifs d'électricité. Des histoires loufoques comme la rumeur voulant que les CPE ne servent plus de repas à cause des compressions, qui s'est transformée en menace que les garderies qui servent des petits déjeuners gratuits cessent de le faire, accueillie, bien sûr, avec indignation. Ça donne, de façon générale, le «non à l'austérité» mur-à-mur des étudiants ou du courant idéologique reflété, par exemple, dans les pages du Devoir.

Dans ces mouvements de colère, on retrouve toujours deux composantes.

D'abord, un très fort réflexe pour défendre avec ferveur les choses qui sont définies comme des acquis, auxquelles les citoyens estiment avoir droit, que ce soient les CPE ou l'électricité à bas prix. Et derrière, une conception de la société qui repose sur une conception de la solidarité et du rôle de l'État.

Ensuite, une absence de ferveur quand il s'agit de la contrepartie, les devoirs et obligations de chacun dans une société solidaire. Cela s'exprime par la tendance à vouloir que les coûts soient refilés à d'autres, ces temps-ci les riches - pas vraiment assez nombreux pour régler les problèmes budgétaires - ou les entreprises - sans penser aux conséquences économiques. Cela se manifeste aussi par une certaine indifférence face aux causes de l'austérité, l'impasse financière.

Cela fait de la société québécoise une société hybride, résolument scandinave dans sa conception collectiviste de la solidarité et du rôle de l'État, et donc quand il s'agit de ses droits, mais fortement teintée par l'individualisme américain quand il s'agit de ses devoirs, que ce soit la discipline, l'éthique fiscale ou la responsabilité budgétaire.

Le niveau d'endettement québécois illustre bien cette différence culturelle. 60% de notre dette provient des emprunts contractés pour payer les programmes année après année, ce qui explique pourquoi la dette québécoise est l'une des plus élevées de l'OCDE, à 105% du PIB. La dette des pays scandinaves n'atteint, en moyenne, que la moitié de celle du Québec: 57% au Danemark, 45% en Suède, 36% en Norvège, 65% en Finlande.

Les Québécois sont ainsi des semi-Scandinaves, parce que, contrairement aux citoyens des pays du nord de l'Europe, ils ont oublié un élément central de l'équation: il faut développer les services collectifs en fonction de ses moyens et il faut accepter d'en payer le prix.