C'est l'un des États les plus pauvres de la planète, et certainement le plus pauvre dans le monde arabe. Son «indice de développement humain», établi par l'ONU, le place parmi la vingtaine de pays les plus dépourvus. Si l'on prend en considération son revenu par personne, il dégringole encore plus bas, en 187position.

Sa principale source de revenus, le pétrole, est au bord de l'épuisement. Et outre un peu de gaz, du poisson séché et du café, il n'a pas grand-chose à vendre à ses voisins.

Comment expliquer, alors, que le Yémen se retrouve aujourd'hui au coeur d'une confrontation internationale qui met en scène des acteurs de premier plan tels que l'Égypte, le Pakistan, l'Arabie saoudite et l'Iran?

Une partie de la réponse peut se trouver... sur une carte. Ce pays désertique de 26 millions d'habitants forme un rectangle à l'extrémité sud de l'Arabie saoudite. À l'ouest, il borde la mer Rouge.

Sa côte méridionale longe le golfe d'Aden et la mer d'Arabie. Les deux sont reliés par le détroit de Bab al-Mandab, par où transitent 4 % des transports pétroliers de la planète.

Le pourcentage est trop petit pour qu'on puisse interpréter le conflit actuel comme une vulgaire course à l'or noir. Mais cette position stratégique contribue à l'intérêt que le Yémen suscite dans la région. Parce qu'il borde un passage qui mène au canal de Suez. Mais surtout parce qu'il jouxte le géant saoudien.

Ce n'est pas la première fois que ce voisinage propulse le Yémen au coeur d'un maelstrom international, rappelle Thomas Juneau, professeur à l'Université d'Ottawa. En 1962, des putschistes ont renversé le roi yéménite Muhammad al-Badr, proche de l'Arabie saoudite et de l'Occident, pour le remplacer par Abdullah as-Sallal, aligné sur l'Égypte et l'Union soviétique.

Ce fut le coup d'envoi d'une sanglante guerre civile qui allait durer cinq ans et qui s'est terminée avec le départ de dizaines de milliers de soldats égyptiens - défaite humiliante que l'on compare aujourd'hui au sort qu'ont connu les États-Unis au Viêtnam.

C'était, bien sûr, une tout autre époque. L'Égypte de Gamal Abdel Nasser voulait exporter son modèle politique et unifier les pays arabes. Le Yémen a servi de caisse de résonance au conflit qui l'opposait à l'Arabie saoudite. Et, par ricochet, au conflit plus large entre l'URSS et l'Occident. On était en pleine guerre froide.

Un demi-siècle plus tard, ce petit pays se retrouve encore une fois déchiré par un conflit qui se répercute jusqu'aux grandes capitales. Mais cette fois, l'Égypte et l'Arabie saoudite marchent main dans la main, avec l'appui de l'Occident. Face à un ennemi commun: l'Iran.

De là à voir les convulsions qui agitent le Yémen comme un nouvel avatar de la guerre entre puissances sunnites et chiite, il n'y a qu'un pas, que Thomas Juneau se garde bien de franchir. La situation est infiniment plus complexe, explique ce politologue qui a vécu au Yémen au milieu des années 2000.

Les rebelles houthis sont bel et bien des chiites soutenus par l'Iran, tandis que le président sunnite qu'ils ont évincé en janvier, Abd Rabo Mansour Hadi, a trouvé refuge en Arabie saoudite.

Mais au Yémen, les allégeances religieuses ne sont pas tranchées au couteau, soutient Thomas Juneau. «Les Yéménites ne se définissent pas comme chiites ou sunnites, ce sont des zones très floues.» À un point tel qu'ils peuvent très bien fréquenter les mosquées des deux confessions, pratiquées traditionnellement avec une relative modération.

Leurs lignes de faille passent ailleurs. Dans des appartenances claniques, notamment. Dans le sentiment d'exclusion politique de la minorité houthie. Et c'est pour des raisons géopolitiques plus que religieuses que Téhéran et Riyad s'affrontent aujourd'hui au Yémen. Bref, on assiste ici davantage à une guerre d'influence entre deux grands qu'à une guerre religieuse.

Sauf que, parallèlement à cette confrontation, un autre conflit se joue dans ce pays aux frontières poreuses, qui a longtemps abrité des cellules d'Al-Qaïda, aujourd'hui concurrencées par le groupe État islamique.

Le tout forme un cocktail explosif. Depuis une dizaine de jours, une coalition de 10 pays, formée à l'initiative de l'Arabie saoudite, bombarde les positions des insurgés houthis. Vendredi, de violents combats se déroulaient dans la ville portuaire d'Aden, où se sont repliés les fidèles du régime Hadi, devenue capitale de facto. Et il y a maintenant des menaces d'intervention au sol.

Et c'est ainsi que plus d'un demi-siècle après le conflit des années 60, le Yémen s'enfonce dans une nouvelle guerre civile. La toile de fond est différente, les acteurs ne sont plus les mêmes. Mais cette fois encore, le pays sert de caisse de résonance aux tensions qui opposent ces puissants voisins.