Bien des Québécois ont sursauté en découvrant que le budget Leitao prévoyait une croissance très faible des dépenses de santé: 1,4%, soit moins que l'inflation. Cela signifie qu'en termes réels, les dépenses en santé vont diminuer. Et cela permet de conclure, comme l'a fait La Presse, que le retour à l'équilibre budgétaire serait atteint «grâce à un coup de frein draconien en santé et en éducation».

Il s'agit certainement d'un virage pour le gouvernement Couillard, qui avait clairement manifesté jusque-là sa volonté d'épargner la santé. Dans le premier budget Leitao, en juin dernier, la santé avait d'ailleurs droit à un traitement de faveur: pour 2015-2016, on prévoyait une croissance des dépenses de 2,7%, quatre fois plus que le 0,7% imposé à l'ensemble des dépenses de programmes.

C'est un virage qui va à l'encontre de la volonté populaire. Les Québécois sont en faveur du retour à l'équilibre budgétaire, mais pas à n'importe quel prix, certainement pas avec des compressions qui peuvent nuire à la qualité et à l'accessibilité du service public auquel ils tiennent le plus.

Selon le budget de la semaine dernière, les dépenses en santé devraient atteindre 32,8 milliards, soit 368 millions de moins que si on avait maintenu le taux de croissance à 2,7%, et 899 millions de moins que si elles avaient progressé au même rythme qu'en 2014-2015, soit 4,2%, ce qui est plus proche de la croissance naturelle des dépenses du réseau.

Le gouvernement Couillard sera-t-il capable d'imposer un tel frein aux dépenses de santé sans toucher les services aux citoyens? C'est possible, du moins en partie, parce que plusieurs mesures d'économie qui affecteront le réseau de la santé touchent la rémunération, la machine administrative ou la gestion.

Les documents des crédits budgétaires parlent des «économies escomptées découlant de l'amélioration de la pertinence des soins», et de «la révision de la gouvernance du réseau». Ils rappellent aussi des mesures annoncées en décembre, dans «Le point sur la situation économique et financière», comme les offres salariales aux employés de l'État, l'étalement de la rémunération des médecins.

À partir de données du ministère des Finances ou du Conseil du trésor, on découvre ainsi que ces diverses mesures permettront à Québec d'aller chercher autour de 1 milliard: l'étalement de la rémunération des médecins représentera une économie pour cette année de 200 millions, les offres aux employés de l'État, une réduction de 400 millions, la réorganisation de la loi 10 et l'amélioration de la gouvernance, 55 millions, l'amélioration de la pertinence des soins et le recours aux meilleures pratiques pourraient représenter une économie de 150 millions, les compressions aux honoraires des pharmaciens, 150 à 175 millions, sans compter l'approvisionnement commun et la réduction du prix des médicaments génériques.

Ce ne sont pas des mesures sans conséquence: les négociations du secteur public seront difficiles, les compressions aux pharmaciens auront des impacts, la réorganisation du réseau risque de provoquer le chaos. Mais elles ne touchent pas directement le patient, du moins pas à court terme.

Ce que je ne comprends pas, par contre, c'est pourquoi alors aucun des trois ministres concernés, Carlos Leitao aux Finances, Martin Coiteux au Trésor et Gaétan Barrette à la Santé, n'a jugé bon de fournir ces explications, qui jettent un autre éclairage sur leur démarche et qui dédramatisent un peu les choses.

Sur le plan purement politique, le gouvernement Couillard ne pouvait pas ne pas savoir que les coupes en santé seraient l'élément du budget le plus impopulaire. Un gouvernement plus habile en communications aurait mis de l'avant ces éléments d'explication permettant de désamorcer un tant soit peu les réactions négatives.

Mais au-delà de la simple maladresse politique, il y a une manifestation d'insensibilité. L'annonce de ce coup de barre en santé pouvait provoquer des inquiétudes légitimes dans la population. C'était le devoir du gouvernement, s'il était à l'écoute, de répondre à ces inquiétudes et de rassurer la population.