Est-il possible, au Québec, d'avoir un débat public intelligent sur un sujet complexe? Je dois dire que j'en ai douté, cette semaine, à voir les premières réactions suscitées par le dépôt du rapport de la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise, présidée par le fiscaliste Luc Godbout.

C'est un rapport très fouillé, très réfléchi, qui propose une refonte majeure de la façon dont l'État québécois perçoit ses taxes et ses impôts. Cette réforme serait neutre, c'est-à-dire qu'on ne taxerait pas plus et qu'on ne taxerait pas moins. On taxerait différemment.

La principale recommandation consiste à réduire de façon significative l'impôt sur le revenu, une baisse de 4,4 milliards, ce qui pourrait donner, en gros, selon leur situation, des réductions de 1000 à 2000$ pour les classes moyennes, ainsi qu'une réduction du fardeau fiscal des entreprises. Pour financer ces baisses, on augmenterait la TVQ à 11%, les tarifs d'électricité, les taxes sur l'essence, la bière et le tabac. On ferait aussi un grand ménage dans les crédits, cadeaux et déductions.

Tout le monde a sorti sa cassette. La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante n'aime pas qu'on touche aux PME, le Conseil du patronat craint qu'on affecte les grandes entreprises, les centrales syndicales sont contre la hausse de la TVQ, une taxe dite régressive. Blablabla.

Le pire est venu des deux principaux partis de l'opposition, qui dénoncent à l'avance la tentation que pourrait avoir le gouvernement de prendre la moitié du rapport, hausser la TVQ et ne pas baisser l'impôt sur le revenu. La CAQ dit donc qu'elle «se méfie des libéraux». La palme de la médiocrité intellectuelle est revenue à Nicolas Marceau, dans une sortie indigne d'un ancien ministre des Finances: «Le gouvernement libéral a promis en campagne électorale de baisser les impôts. Il n'a jamais dit que cela résulterait d'une hausse des taxes.»

Faut-il rappeler que ce n'est pas le projet du gouvernement, mais le rapport d'une commission? Il soulève une foule de questions, philosophiques et idéologiques, et bien sûr techniques, qu'il faudra débattre.

La démarche de la Commission repose d'abord sur un postulat: que le Québec ne peut pas augmenter son fardeau fiscal, déjà très élevé dans le contexte nord-américain, mais qu'il ne peut pas non plus le baisser dans l'état actuel des choses, tant qu'il n'a pas retrouvé l'équilibre budgétaire.

Elle repose ensuite sur une philosophie fiscale, qui consiste à déplacer le fardeau fiscal de l'impôt sur le revenu vers les tarifs et les taxes à la consommation. Pourquoi? C'est une logique d'économistes et de fiscalistes à la recherche d'une fiscalité plus proche de l'idéal, qui soit à la fois équitable et efficace. Les taxes à la consommation ont moins d'effets négatifs que l'impôt sur le revenu, qui n'incite pas au travail, qui défavorise le Québec dans les comparaisons avec ses voisins. Selon la Commission, ce déplacement du fardeau augmenterait le PIB de deux milliards et le niveau d'emploi de 20 000. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle? Je crois que oui. Comme le Québec taxe beaucoup, aussi bien le faire comme il faut.

Ce choix soulèvera inévitablement un débat idéologique, parce qu'on dira que les taxes à la consommation sont régressives, qu'elles pénalisent plus les pauvres que les riches. Il faudrait en revenir. Les hausses proposées de ces taxes sont assorties de tellement de mesures de compensation que cette question ne se pose plus.

Ces débats ne constituent que la pointe de l'iceberg. Les 71 recommandations de la Commission soulèvent des dizaines d'enjeux qui mobiliseront lobbies, organismes, fédérations, associations, coalitions et collectifs, des pompiers volontaires au monde du livre en passant par les fabricants de couches.

Les changements proposés sont assez importants, et assez compliqués, pour qu'on respire par le nez, qu'on réfléchisse un peu avant de se prononcer, en sachant qu'une telle réforme exige un vaste débat public et l'atteinte d'un certain degré de consensus.