Dans un monde idéal, nous serions en droit de nous attendre à une certaine élévation du débat politique à l'approche des élections, mais de toute évidence, le populisme et le clientélisme semblent encore faire recette.

Spécialiste de la segmentation de la clientèle électorale, Stephen Harper avait un message, il y a quelques jours, pour les amateurs d'armes à feu et, plus généralement, pour les libertariens: «La possession d'armes à feu, ce n'était pas juste pour la ferme, c'était aussi pour un certain degré de sécurité quand vous êtes loin de la police, d'une aide policière immédiate», a-t-il dit en Saskatchewan, en faisant référence à l'expérience de sa femme Laureen, qui a grandi en milieu rural.

En gros, semble dire le premier ministre (il n'a pas précisé sa pensée depuis jeudi), si vous habitez dans une région rurale, dans un coin isolé et loin d'un poste de police, il serait utile de vous procurer une arme à feu pour vous défendre. En plus, vous n'aurez peut-être même pas à enregistrer cette arme, gracieuseté du gouvernement conservateur, qui a aboli le registre des armes d'épaule. De là à dire que le premier ministre encourage les Canadiens à acquérir une arme à feu et peut-être même à s'en servir, il n'y a qu'un pas que les partis de l'opposition ont rapidement franchi, hier.

Une telle déclaration ne fera rien de bon pour les conservateurs à Montréal et au centre-ville de Toronto et Vancouver, mais pour sa base électorale traditionnelle, c'est du bonbon.

Improvisée, cette sortie? Ce n'est pas le genre de M. Harper. Provoquer des réactions émotives pour diviser l'électorat, c'est une pratique classique (et éprouvée) pour le chef conservateur. Quitte à entretenir des paradoxes.

D'abord, les conservateurs, qui se présentent comme les champions de la loi et de l'ordre, suggèrent aux Canadiens de faire l'inverse que ce que préconisent les corps de police. S'armer pour se défendre soi-même, c'est non seulement vaguement Far West comme idée, mais tous les spécialistes de sécurité publique vous diront que c'est dangereux pour les personnes qui tentent de se protéger.

Ensuite, cette idée d'autodéfense avec une arme à feu nous rapproche beaucoup de nos voisins du Sud, qui chérissent leur garantie constitutionnelle de porter une arme à feu. À chaque nouvelle tuerie, notamment après celle qui avait coûté la vie à 20 enfants à Newtown, au Connecticut, la question de la circulation des armes à feu revient hanter le débat politique, mais aucun élu n'oserait remettre en cause le droit constitutionnel des propriétaires d'arme. Or rien, mais strictement rien, dans la Constitution canadienne ne se rapproche du modèle américain.

Au Canada, on aime bien se singulariser des Américains dans deux domaines en particulier: l'assurance maladie publique et le contrôle des armes à feu.

Si c'est encore vrai pour l'assurance maladie, ça l'est beaucoup moins, après neuf ans de régime Harper, pour les armes à feu.

Crise identitaire, prise 22

On a cru un moment que les questions identitaires étaient sur le rond arrière, mais visiblement, certains partis et leaders politiques jugent qu'il est encore payant électoralement de rallumer le feu pour faire bouillir la marmite.

Et encore une fois, les nuances et le gros bon sens sont les premières victimes de ce nouvel épisode de «crise» identitaire.

Sur la scène fédérale, le débat identitaire fait rage, avec la même intensité qu'au Québec en 2013 et en 2014. Le député conservateur Larry Miller (Owen Sound, dans le sud de l'Ontario) a déclaré que «les femmes qui ne veulent pas se découvrir le visage pour être accueillies dans le meilleur pays au monde peuvent bien rester d'où elles viennent». Le député Miller s'est excusé et a retiré ses propos, mais ses propos correspondent à un courant de pensée bien présent parmi l'électorat. Ils divergent aussi profondément - tiens, tiens, revoilà la campagne électorale - de la position du Nouveau Parti démocratique (NPD) et des libéraux. Au passage, le député Miller a aussi écorché les juges trop libéraux, un autre point fort des conservateurs.

De son côté, le chef du NPD, Thomas Mulcair, affirme que c'est aux tribunaux, et non au gouvernement, d'interpréter la Charte des droits et libertés, notamment pour le port du niqab lors de cérémonies de citoyenneté et pour les fonctionnaires. Cette position ne fait pas l'unanimité dans son propre caucus.

Justin Trudeau, pour sa part, a livré la semaine dernière un vibrant plaidoyer pour la liberté d'expression la plus large, incluant le port du niqab lors de cérémonie de prestation de serment. Cette position tranche avec celle des partisans du «visage découvert pour les services publics».

On peut reprocher aux conservateurs leur manque de nuances et critiquer leurs excès de langage, mais leur position semble ferme, contrairement aux néo-démocrates et libéraux. On a perçu le même phénomène avec la participation du Canada aux frappes contre le groupe État islamique et dans la lutte contre le terrorisme (C51), notamment.

À l'approche des élections, mieux vaut avoir des positions fermes, même si elles sont controversées, et un front uni que de donner l'impression de chercher à tâtons une position mitoyenne. Qu'on aime ou non les positions et la stratégie de Stephen Harper, les sondages lui donnent raison.

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