Combien de fois ne tourne-t-on pas les yeux vers les pays scandinaves au Québec comme point de référence ou comme modèle de succès social? Un peu d'Islande pour l'égalité des hommes et des femmes, un soupçon de Danemark pour le traitement des cyclistes, une pointe de Norvège pour la gratuité universitaire, une bonne dose de Suède pour les programmes sociaux, un petit quelque chose de la Finlande pour les résultats scolaires...

Ces références aux pays scandinaves, aussi pertinentes soient-elles, ont très souvent le défaut d'être incomplètes. On choisit ce qui fait son affaire et on oublie commodément les pratiques et les institutions qui ne servent pas le message. Et comme ceux qui invoquent le plus souvent les expériences scandinaves sont ceux qui sont séduits par leur justice sociale, on entend bien moins parler de l'autre volet, l'envers de la médaille, le pragmatisme et le réalisme économique de ces pays sans lequel le progrès social est impossible.

Par exemple, on ne parlera pas souvent du fait qu'en Suède, les patients doivent payer un ticket modérateur de 15$ à 30$, selon la région, pour une visite chez le médecin, et de 35$ à 49$ pour un spécialiste. Parce que c'est perçu ici comme une hérésie, une négation du grand principe de l'universalité.

On encore, la proposition de la commission sur la fiscalité, présidée par Luc Godbout, d'augmenter la TVQ et de baisser l'impôt sur le revenu, provoquera certainement un très vif débat. On dénoncera le caractère régressif de cette mesure. Et pourtant, c'est dans les pays scandinaves, paradis de la justice fiscale, que l'on retrouve les TVA (taxes à valeur ajoutée, comme la TVQ) les plus élevées; Danemark et Suède, 25%; Finlande, 24%.

Dans un tout autre domaine, j'ai écrit, la semaine dernière, une chronique où je disais qu'il fallait augmenter les prix de l'électricité et donc cesser de subventionner la consommation pour que cette richesse collective puisse vraiment procurer des bénéfices collectifs. Les réactions ont été très souvent négatives, parce qu'une hausse des tarifs serait injuste, qu'on paie déjà assez d'impôt, qu'on a le droit de profiter d'une ressource qui nous appartient.

Voilà un domaine où ça ne serait pas bête du tout de regarder ce qui se passe du côté de la Norvège, parce que c'est le seul pays qui, sur le plan de l'électricité, ressemble au Québec. L'électricité de la Norvège provient de source hydraulique, comme ici. Ce pays est l'un des très gros producteurs mondiaux, derrière le Québec, mais avec une production par habitant plus élevée que la nôtre. Comme ici, les gens se chauffent à l'électricité. Mais pour l'énergie, on n'aime pas trop regarder ce qui se passe dans le nord de l'Europe - sauf pour les éoliennes au Danemark - parce qu'on n'aimerait pas ce qu'on pourrait y trouver.

Malgré toutes ces similitudes, il y a une grosse différence entre le Québec et la Norvège. En 2014, le prix de l'électricité y était de 85,1 øre le kilowattheure, soit 14 cents, le double d'ici. Malgré des coûts de production bas, malgré le fait que l'électricité est produite par une société d'État, malgré le fardeau fiscal élevé.

En fait, la Norvège est allée beaucoup plus loin en déréglementant le marché de l'électricité il y a 25 ans. Il y a maintenant un véritable marché de l'électricité, le Nord Pool, entre les pays scandinaves et les pays baltes, auquel participent aussi l'Allemagne, la Pologne et le Royaume-Uni. Et parce qu'il y a un marché, on peut déterminer le juste prix de l'électricité. Ce que nous semblons incapables de faire au Québec.

Je ne dis pas qu'il faut imiter la Norvège. On ne peut pas plaquer mécaniquement les expériences des autres. Mais il n'est pas mauvais de savoir que d'autres ont trouvé des solutions à des débats qui, ici, semblent insolubles.