Naomi Klein l'avoue. Il y a six ans encore, les changements climatiques n'étaient pas sur son écran radar. La pasionaria de la gauche se concentrait sur le féminisme et l'altermondialisme. Elle luttait contre les inégalités et le capitalisme débridé.

Mais le climat n'était pas l'affaire de cette militante canadienne, que j'ai rencontrée jeudi. «J'ai nié l'ampleur de la crise pendant plus longtemps que je n'oserais l'admettre», reconnaît-elle dans son dernier opus, Tout peut changer - Capitalisme et changement climatique, qui sort jeudi prochain.

La climatologie, se disait-elle alors, est une science trop complexe. Et les environnementalistes s'occupent du problème, de toute façon.

Puis, en avril 2009, elle a partagé un repas avec l'ambassadrice bolivienne à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Angélica Navarro Llanos. Un repas qui a tout changé.

À l'aide d'une paire de baguettes chinoises, la jeune diplomate a illustré l'évolution des gaz à effet de serre. Elle a parlé des menaces qui pèsent sur les glaciers qui irriguent la Bolivie. Elle a évoqué l'injustice de la crise climatique qui frappe les pays qui en sont le moins responsables.

Et elle a convaincu Naomi Klein du bien-fondé d'une réponse du type plan Marshall: une mobilisation financière internationale qui transformerait une crise en occasion.

Une occasion, ajoute-t-elle aujourd'hui, de réduire les inégalités, de porter secours aux économies locales, d'investir dans le transport en commun, de renégocier les accords de libre-échange...

Une occasion, bref, de mettre fin au «capitalisme du désastre».

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Je ne suis peut-être pas le chroniqueur le plus à gauche, mais je suis loin de me considérer comme réactionnaire. Et pourtant, lorsque j'ai rencontré Naomi Klein au centre-ville de Montréal, jeudi, elle m'a accueilli comme si j'étais de la droite climatosceptique: avec une brique et un fanal.

Pas une entrevue jojo, donc. Et ce, en réponse aux critiques sévères que j'avais formulées contre son livre, l'automne dernier à la radio, lors de la sortie de la version originale.

«Vous vous êtes dévoilé» ont été ses premiers mots, avant même qu'on ne s'assoie. Sans rire ni sourire.

Vrai que son livre m'a déçu. Naomi Klein a le jugement facile contre tous ceux qui ont pris le sujet au sérieux... avant elle. Elle choisit les exemples qui font son affaire et évacue les autres. Et moi qui avais apprécié No Logo et The Shock Doctrine pour leur originalité, je trouve que ce dernier livre arrive bien après la parade.

N'empêche, je reconnais à cet ouvrage une contribution au débat, celle d'élargir l'enjeu climatique, de le décloisonner. Un enjeu qu'on a abordé ces dernières années comme s'il n'était qu'environnemental.

«Le climat a été confiné à une petite boîte verte, regrette-t-elle, mais ce n'est pas un enjeu environnemental comme les autres. C'est fondamental, ça remet tout en question. Le défi est trop imposant pour que les environnementalistes s'en occupent seuls.»

À ses yeux, les écolos ont échoué car ils ont misé sur des compromis, sur de petites mesures sectorielles, sur des gestes posés un à la fois pour réduire les émissions polluantes.

Or les gaz à effet de serre ne sont pas le problème, à ses yeux. Le modèle économique l'est bien davantage. Lui qui s'appuie sur une dépendance au profit, à la croissance, et donc aux émissions... qu'il prétend combattre.

«Donc ou bien on laisse le bouleversement du climat transformer le monde, ou bien on transforme l'économie pour éviter le bouleversement du climat.»

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Je suis de la frange progressiste que Naomi Klein ne porte pas dans son coeur: celle qui prône la modération, le juste milieu, la circonspection. Un «état d'esprit» qui «domine l'époque actuelle», déplore-t-elle, encore plus à gauche qu'à droite.

«Je connais vos contre-arguments, m'a-t-elle lancé sans même que j'aie à les formuler. Il faut se concentrer sur l'adoption de politiques publiques, le marché du carbone, la taxe carbone, les négociations internationales, les solutions technocratiques. Mais avec de telles mesures, vous allez perdre. Tout simplement.»

Pourtant, ai-je répliqué, de telles solutions ont fonctionné dans le passé. C'est grâce à des systèmes de plafonnements et d'échanges qu'on a réussi à évacuer le plomb de l'essence et à lutter contre les pluies acides.

Mais je comprends néanmoins la désillusion de Naomi Klein. Car les solutions que préconise le «centre prudent», comme elle dit, ont été mises de l'avant sans grands succès ces dernières années.

Ce qui n'est pas suffisant pour qu'on les balaye d'un revers de main, à mon avis, surtout pas dans un contexte où les prix du pétrole changent la donne. Mais ce qui incite Naomi Klein à tourner le dos aux promesses du marché et à miser, plutôt, sur les marches et les manifestations citoyennes aux quatre coins de la planète. Comme celles qui ont précédé l'adoption du New Deal ou du Clean Air Act dans le passé.

Voilà pourquoi elle propose un soulèvement mondial, ce qu'elle appelle la «Blocadie»: une révolution émanant des mouvements sociaux et des groupes locaux, des organisations qui luttent pour la justice sociale, le transport en commun, autant que des groupes écologistes et féministes.

«Comme vous, je pense que les gouvernements devraient adopter des politiques publiques ambitieuses, conclut-elle. Mais en l'absence de tels gestes, c'est à la population de combler le vide.»