La féminisation de la profession médicale est au coeur du débat sur le projet de loi 20 qui vise à forcer les médecins, sous peine de pénalités, à travailler plus d'heures et à prendre en charge un plus grand nombre de patients.

Le fait que 44,8% des médecins soient des femmes, bien plus que les 36,8% en Ontario, par exemple, est l'un des facteurs, quoique pas le seul, qui explique pourquoi 25% des Québécois n'ont pas de médecin de famille, même si le Québec compte nettement plus de médecins par habitant que des provinces comme l'Ontario. Les femmes, en moyenne, travaillent moins d'heures que les hommes, et elles ont peut-être dans certains cas un mode de pratique différent.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, le Dr Gaétan Barrette, avec la finesse qu'on lui connaît, fait comme si ce volet de la problématique n'existait pas. La solution qu'il propose, avec quotas et pénalités, s'appliquera de façon uniforme, et affectera certainement davantage les omnipraticiennes que les omnipraticiens.

C'est dans ce contexte, celui du vide, qu'on a assisté à un très vif débat cette semaine quand la profession médicale a réagi très vigoureusement au mémoire du Conseil du statut de la femme qui a appuyé le projet de loi 20 avec l'argument suivant: «Le Conseil choisit de prioriser un meilleur accès des femmes aux services de santé de première ligne plutôt que de défendre le droit d'un certain groupe professionnel gagnant des revenus élevés de réduire substantiellement ses heures de travail.»

Mais même si le débat oppose les représentants des fédérations médicales et la présidente du CSF, Julie Miville-Dechêne, c'est le gouvernement Couillard qui va en payer le prix. Par son silence sur ce volet du dossier, il projette l'image d'un gouvernement trop masculin, un gouvernement de «mononcles» qui manque de sensibilité et de tact sur ces questions, comme ce fut le cas avec sa mauvaise gestion du débat sur les frais de garderie.

Et pourtant, même si on peut critiquer le côté simpliste des solutions avancées par le Dr Barrette, le principe qu'il défend dans ce dossier est légitime. Il est raisonnable que le gouvernement et la société québécoise puissent exiger des médecins qu'ils fournissent un niveau adéquat de services.

D'une part parce que les obligations professionnelles des médecins ne se limitent pas aux actes qu'ils posent un à un, mais aussi à fournir un niveau de participation qui permette au système de bien fonctionner. Ce contrat social implicite a été renforcé par leurs importants gains salariaux des dernières années qui leur ont permis de rejoindre le niveau canadien de rémunération. Si leur revenu est comparable à ceux de leurs collègues canadiens, il est normal d'exiger de leur part un effort comparable.

Cela est difficile dans le contexte actuel où les médecins, avec leur statut de professionnels indépendants, peuvent déterminer unilatéralement leurs conditions de travail, tout en étant assurés d'un revenu élevé. L'enjeu consiste à trouver un équilibre entre deux droits légitimes, celui de l'accès à des soins de santé de qualité, et celui de la conciliation travail-famille.

Mais si on peut reprocher au ministre son manque de sensibilité, on doit constater que les fédérations médicales ne contribuent pas, elles non plus, à la recherche de cet équilibre. Leur dénonciation sans nuances du projet de loi 20 a basculé dans la caricature. La Fédération des médecins omnipraticiens beurre épais, elle déchire sa chemise, elle multiplie les slogans - «des patients encore plus vulnérables», «des soins en souffrance», «encore plus d'attente». Mais elle ne fait pas grand-chose pour proposer des solutions pour que les Québécois aient leur médecin de famille.