Au Québec, on compte 116 omnipraticiens pour 100 000 habitants, beaucoup plus que les 103 que l'on retrouve en Ontario. Sur l'ensemble de notre population, c'est environ 12,6% d'omnipraticiens de plus. Et pourtant, près d'un Québécois sur quatre n'a pas de médecin de famille, tandis que cette proportion n'est que d'un sur dix dans la province voisine.

C'est ce genre de disparité qui est à l'origine du projet de loi 20 du ministre de la Santé Gaétan Barrette. Si les Québécois n'ont pas tous accès à un médecin de famille, c'est parce que les omnipraticiens ne travaillent pas assez et ne prennent pas assez de patients en charge. D'où une loi pour les forcer à augmenter la cadence, sous peine de pénalités.

Mais quel est l'écart réel de la charge de travail entre les médecins québécois et ontariens, et quelle en est la cause? Ce sont des questions auxquelles il faut pouvoir répondre pour que les solutions que l'on met en oeuvre puissent vraiment atteindre leur but. Voici quelques éléments qui peuvent nous aider à mieux comprendre cet enjeu.

Au Québec, 44,8% des médecins sont des femmes, de loin la proportion la plus élevée au Canada, bien plus que les 36,8% de l'Ontario, selon l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS). Cette présence féminine est assez importante pour expliquer une partie de l'écart de prise en charge dans les deux provinces - grossesse, conciliation travail-famille, conception de la carrière. Peut-on à la fois considérer que l'arrivée des femmes en médecine constitue un progrès et réagir par la coercition à l'une de ses conséquences?

La proportion de médecins du Québec ayant obtenu leur diplôme dans un autre pays est la plus basse au Canada: 10,5%. C'est presque trois fois plus en Ontario: 27,6%. La différence est énorme. Elle contribue elle aussi à expliquer une partie de la charge de travail moyenne moindre au Québec. Car il est évident que ces médecins qui construisent leur nouvelle vie au Canada manifestent une ardeur au travail supérieure à ceux qui y sont déjà établis.

L'organisation des soins de santé est différente dans les deux provinces. Notamment l'obligation pour les médecins qui ont moins de 20 ans de pratique de s'acquitter d'Activités médicales particulières (AMP). Entre 0 et 15 ans de pratique, ils doivent consacrer 132 heures par trimestre pour ces AMP, très souvent en milieu hospitalier. Cette obligation, qui n'existe pas en Ontario, réduit le temps que ces médecins peuvent consacrer à la prise en charge de patients. Cela contribue aussi à les détourner de la médecine familiale. Cela explique enfin, du moins en partie, pourquoi les médecins québécois disent travailler 34,9 heures par semaine dans leur cabinet, contre 43 pour leurs collègues ontariens, selon une étude du Commonwealth Fund.

Les hausses importantes consenties aux médecins québécois dans la dernière décennie pour rattraper le niveau canadien ont également eu un impact. Grosso modo, les médecins du Québec touchent maintenant les mêmes revenus que dans les provinces atlantiques ou en Colombie-Britannique. Mais ce rattrapage salarial, parce qu'il n'a pas été assorti d'une obligation d'offrir des prestations comparables, a pu engendrer un effet pervers en encourageant les médecins à réduire leur charge de travail.

Le mode de rémunération contribue aussi à affecter la pratique. Selon la même étude du Commonwealth Fund, 70,2% des médecins québécois sont payés à l'acte, contre à peine 38,4% en Ontario. Dans la province voisine, 34,1% sont plutôt rémunérés selon le mode de la capitation, un montant fixe par patient, un mécanisme pratiquement inexistant au Québec. Or le fait de payer les médecins en fonction du nombre de patients facilite le travail en équipe, la délégation et donc la prise en charge d'un plus grand nombre de ces patients.

Bref, le problème de la charge de travail des médecins étant complexe, la charge frontale ne constitue pas la meilleure façon de le résoudre.