Comme ça, Québec aura son Rockefeller Center. Un immense complexe commercial flanqué de la plus haute tour jamais construite à l'est de Toronto, Le Phare.

Pareil au Rockefeller de New York, a dit le promoteur Michel Dallaire, de Cominar. Avec une tour de 65 étages qui «se démarquera au-delà des frontières». Un projet que «toutes les villes modernes dans le monde seraient fières d'avoir», a ajouté le maire Labeaume.

Un peu plus et on comparait Le Phare au Burj al-Arab de Dubaï...

Mais attendez... Cette voile au sommet du Phare... N'a-t-elle pas justement une parenté avec la voile du Burj al-Arab? Les deux tours ne revendiquent-elles pas, à l'identique, leur «héritage maritime» ? La course à la hauteur des Émirats a-t-elle vraiment inspiré les gens de Québec, ne serait-ce qu'inconsciemment?

Pincez-moi, quelqu'un.

S'il y a une comparaison à faire avec Le Phare, ce n'est pas vers le golfe Persique qu'il faut se tourner, encore moins vers le Rockefeller, un complexe qui s'intègre à merveille au tissu urbain new-yorkais.

C'est plutôt vers Paris, là où l'on retrouve une immense tour... qu'on rêve de démolir depuis 40 ans.

Si vous avez déjà arpenté la Ville Lumière, vous l'avez vue. Car vous ne pouvez la manquer.

La tour Montparnasse s'élève dans le ciel de Paris comme un mirador de 57 étages, une vilaine excroissance décriée depuis son ouverture, en 1973.

Pas parce qu'elle est particulièrement hideuse, soyons honnête. Mais parce qu'elle n'a pas sa place là, dans une ville aussi étrangère aux gratte-ciel qu'au service à l'auto.

«La plus belle vue de Paris est au sommet de la tour Montparnasse, dit-on. Car c'est le seul endroit où on ne la voit pas.»

L'ancien maire Delanoë s'était d'ailleurs prononcé pour sa démolition. La rivale d'Anne Hidalgo a elle aussi prôné, l'an dernier, la destruction de cette «catastrophe urbanistique» de 210 mètres sortie d'une époque révolue.

Et 40 ans plus tard, au nom de la «modernité» encore une fois, Québec s'apprête à faire la même erreur. En y ajoutant 40 mètres.

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Paris et Québec jouissent pourtant d'une personnalité forte, d'un patrimoine signature, de magnifiques édifices. Ce sont deux villes élégantes pour qui le gratte-ciel ressemble finalement à un bijou clinquant, une grosse broche dorée qui finit par déséquilibrer l'ensemble.

Je sais bien qu'on veut construire Le Phare à Sainte-Foy, sur les cendres de l'ancienne Auberge des gouverneurs, et non dans le Vieux-Québec. Mais là est justement la leçon de la tour Montparnasse: ce n'est pas parce qu'il est possible de construire un édifice grandiloquent en périphérie qu'il faut le faire.

Chaque tour doit avoir des raisons profondes d'être comme elle est, où elle est, a déjà dit le «starchitecte» Jean Nouvel. «Elle doit correspondre à un héritage, avec ses racines. Les racines, ce sont souvent des correspondances avec la structure de la ville, les liens avec un climat, avec une culture localisée».

«Parachuter un objet haut dans un lieu sans raison», à son avis, ce n'est rien d'autre qu'un «désastre».

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Manifestement, le maire Labeaume s'est commandé «un gros legs». Précisément ce qu'on avait fait pour la tour Montparnasse en 1969, en exigeant avec prétention «la plus haute tour de bureaux d'Europe».

Mais les temps ont changé. Une tour de cette magnitude, en 2015, ça ne se commande pas à la légère, en prenant le bureau d'architectes qu'on a sous la main. Pas plus qu'on ne commande de la hauteur dans un secteur qui n'en possède pas.

La densité ne se génère pas de manière spontanée. Elle se crée, de manière organique. Elle se planifie, s'inscrit dans un projet d'urbanisme et de mobilité.

Rien de tout ça dans le projet de la famille Dallaire. Plutôt, on fait le coup du DIX30 et du Quinze40: on ne répond pas à une demande, on la provoque. De manière artificielle. On cible un terrain en friche, on crée un semblant de quartier avec un semblant de place publique et un semblant d'animation urbaine. Puis on croise les doigts.

L'intervention ne se rattache ainsi à rien, sinon à des rêves de grandeur. L'exact opposé des plus beaux édifices prévus et construits ailleurs au pays, dans des secteurs qui appellent la hauteur. La Tour des Canadiens à Montréal, belle et racée. Le Ritz Carlton à Toronto, élégant et majestueux. Le Telus Sky de Calgary, moderne et unique.

On se retrouve ainsi, à Québec, avec un projet sans lien avec son environnement, en rupture d'échelle, qui n'a d'audace que la hauteur.

Augmenter la hauteur du pôle Sainte-Foy pour en faire une porte d'entrée, je veux bien. Mais plusieurs projets structurants vaudraient mieux qu'une tour démesurée qu'on finira par regretter. Comme à Paris.