Le ministre de la Santé Gaétan Barrette, qui fonce sur tout ce qui bouge, a lancé une autre bataille dont on a beaucoup moins parlé: cette fois-ci, contre les pharmaciens.

Il est normal, dans une période de contraintes budgétaires, de demander aux pharmaciens, dont une partie importante des revenus provient de l'État, de faire aussi leur part. Mais les pharmaciens semblent avoir droit à un traitement spécial, particulièrement musclé.

Cela aura des conséquences. Les mesures décrétées par le gouvernement du Québec sont assez sévères pour affecter le réseau des pharmacies - heures d'ouverture, services, viabilité de certaines d'entre elles. Au moment où la priorité du Québec, dans le domaine de la santé, est de renforcer les services de première ligne, on réussira au contraire à affaiblir l'un de ses maillons essentiels, celui qui est le plus proche des citoyens.

Ça fait des années qu'on sait qu'une des solutions pour régler le problème de la pénurie de médecins de famille consiste à mieux profiter du know-how des pharmaciens et à élargir leurs responsabilités pour leur confier des tâches actuellement assumées par les médecins. Cela permettrait aux médecins de voir plus de patients et aux citoyens d'avoir un accès simple et rapide à des professionnels de la santé pour une foule de problèmes.

Mais l'ex-ministre libéral de la Santé, le Dr Yves Bolduc, réticent, s'est traîné les pieds dans ce dossier, qui n'est toujours pas réglé. Tant et si bien que le Québec, où la pénurie de médecins est plus marquée qu'ailleurs au Canada, est la province la moins avancée sur cette question.

Dans un deuxième temps, son successeur péquiste, le Dr Réjean Hébert, s'est montré plus favorable à ce concept, mais avec une nuance importante: en refusant de payer les pharmaciens pour les nouvelles tâches qu'on leur confierait. Il a ensuite proposé un système bâtard, où les pharmaciens seraient compensés pour certains actes qu'ils pourraient poser - mais seulement dans le cas des patients couverts par le régime public d'assurance, instaurant ainsi un système de soins à deux vitesses confus et non fonctionnel.

Cette idée condamnable a été reprise le Dr Barrette. Finalement, ce dernier a offert 17,7 millions pour trois des actes - prescription d'un médicament quand aucun diagnostic n'est requis, prescription pour des conditions mineures, ajustement d'ordonnances - , mais ne paierait pas pour quatre autres - prolongement d'ordonnance, substitution, administration d'un médicament, prescription et interprétation d'analyses de laboratoire. Le ministre a aussi décrété de couper 177 millions en honoraires, ce qui donne une baisse, substantielle, de 17%, qui équivaut à environ 100 000$ par pharmacie.

Les pharmaciens sont les seuls à subir de véritables coupes. On a proposé un gel aux professionnels syndiqués. On a demandé aux médecins généralistes et spécialistes de ralentir leurs hausses salariales. Il est vrai que Québec menace de couper leurs honoraires s'ils ne travaillent pas assez, mais c'est dans le but de les convaincre de travailler davantage, et donc de faire plus d'argent. Aux pharmaciens, on propose de travailler plus, mais de faire moins d'argent.

Ce traitement semble résulter de la convergence de deux phénomènes. D'abord, l'existence d'une certaine condescendance de la profession médicale pour les pharmaciens, renforcée par le fait que ce sont des médecins qui se succèdent à la tête du ministère de la Santé; une fois, c'est bien, quatre fois de suite, c'est trop. Ensuite, la difficulté du ministère à composer avec des entreprises privées menant des activités marchandes. On les traite les pharmaciens comme un corps étranger dont on a du mal à comprendre les contraintes, celles de PME qui emploient 18 000 personnes.

On ne résoudra pas le problème de la première ligne tant qu'on n'intègrera pas convenablement les pharmacies au réseau de la santé. Le ministre Barrette a choisi d'aller dans le sens contraire.