La chose n'a probablement jamais été dite aussi clairement par un premier ministre canadien depuis le 11 septembre 2001: nous sommes en guerre.

«La réalité mondiale, et je ne dis pas ça de gaieté de coeur, est que le mouvement djihadiste international a déclaré la guerre», a affirmé la semaine dernière M. Harper en Colombie-Britannique. «Ils ont déclaré la guerre contre quiconque ne pense pas ou n'agit pas exactement de la même manière qu'ils le veulent.»

Depuis une douzaine d'années, d'abord sous un gouvernement libéral, puis sous les conservateurs, Ottawa se contentait de dire que nous sommes en «guerre contre le terrorisme» ou que nous «participons à l'effort contre le terrorisme».

En 2006, par exemple, l'ex-ministre des Affaires étrangères, Peter MacKay, avait fait des circonvolutions très inspirées pour ne pas dire que nous étions en guerre en Afghanistan lors d'une audience devant un comité du Sénat.

Cette fois, le contexte est différent. Le Canada n'est plus seulement impliqué dans une coalition menant une opération à des milliers de kilomètres, il a été pris pour cible, et les autorités craignent que d'autres extrémistes musulmans radicalisés ne veuillent «punir» le pays pour sa participation aux frappes contre le groupe État islamique (EI).

La semaine dernière, Stephen Harper a rapidement condamné l'attentat au Charlie Hebdo et il s'est empressé d'appeler le président français pour l'assurer du soutien indéfectible du Canada.

Dans les circonstances, on aurait pu s'attendre à voir Stephen Harper dans les rues de Paris, hier, aux côtés de François Hollande, Angela Merkel, Benyamin Nétanyahou et plusieurs autres dirigeants. M. Harper était plutôt à Kingston, hier, dans le cadre des cérémonies du 200e anniversaire de John A. Macdonald, et il a dépêché son ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, dans la Ville Lumière. Question de priorité. Le 200e de sir John A. durera toute l'année. Une marche comme celle de Paris, après des événements aussi tragiques, représente un moment historique dont il faut saisir l'importance. Remarquez, priorité pour priorité, le chef libéral Justin Trudeau a tweeté hier, pendant les manifs de Paris et de Montréal, une photo de lui et de son fils en motoneige dans les Territoires du Nord-Ouest.

Le premier ministre Harper aurait pu inviter les leaders des partis de l'opposition à se joindre à lui dans une délégation non partisane à Paris, mais le Canada n'est pas seulement en guerre contre les djihadistes, il est aussi en campagne électorale en vue du scrutin du 19 octobre (ou peut-être même avant, craignent les partis de l'opposition). Il y a la guerre contre un ennemi furtif et insaisissable, mais il y a d'abord une campagne électorale, dont l'objectif et les adversaires sont clairement identifiés.

C'est particulièrement visible du côté des conservateurs et de leur chef, Stephen Harper, très actif depuis le début de l'année. Prenez la semaine dernière, notamment, lorsque M. Harper et plusieurs de ses ministres se sont déployés à travers le pays pour lancer le «prêt canadien pour les apprentis». Cette initiative avait été annoncée l'an dernier, mais ses premiers bénéficiaires toucheront vraisemblablement leur chèque (pour de la formation professionnelle pour des métiers ciblés) à la rentrée de septembre, soit quelques semaines avant les élections. Vaut mieux s'y faire: tout ce que le gouvernement conservateur fera d'ici au jour J sera forcément pensé en fonction d'impératifs électoraux. Y compris la récupération de certains événements pour mobiliser les militants et récolter des dons pour la cagnotte électorale.

Dans les heures qui ont suivi les attentats à Paris, le Parti conservateur a mis en ligne une page sur son site internet où on peut voir des combattants armés de mitraillettes, une citation de Stephen Harper s'engageant à lutter contre le terrorisme et... une pastille bien en vue en haut de page invitant les militants à donner de l'argent à leur parti. Ce n'est pas la première fois: les conservateurs avaient fait de même au printemps dernier en juxtaposant les drapeaux canadien et israélien, et plus tard à l'automne lors de la refonte de la Loi sur les armes à feu.

Le Parti libéral aussi a publié une page internet en lien avec les attentats de Paris, avec un onglet pour faire un don, mais la manoeuvre était un peu plus subtile.

La nouvelle guerre contre le terrorisme, ici, mais aussi en Irak contre le groupe État islamique, ne servira vraisemblablement pas qu'à garnir les coffres des partis, elle pourrait s'inviter dans la bataille électorale.

En octobre dernier, le gouvernement Harper a engagé le Canada, contre la volonté du NPD et du PLC, dans la coalition contre le groupe État islamique pour six mois, ce qui nous mènera à un inévitable débat sur la suite des choses au printemps.

Stephen Harper et ses troupes ne se priveront pas de rappeler que le NPD de Thomas Mulcair s'opposait aux frappes contre l'EI et plaidait pour un rôle humanitaire, et que les libéraux de Justin Trudeau ont eux aussi voté contre l'envoi d'avions de chasse canadiens dans le ciel irakien.

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