Ce n'est pas seulement Charlie Hebdo et ses artisans qui ont été sauvagement attaqués hier à Paris. Tous les caricaturistes, tous les journalistes, tous les libres penseurs, tous les démocrates sont visés. La cible, c'est notre droit fondamental, à nous citoyens, d'exprimer notre opinion sur l'islam. Ce droit vaut que cette opinion soit modérément ou farouchement critique, qu'elle se décline en mots ou en images.

Cette attaque vise à faire taire ceux qui osent critiquer l'islam. Dorénavant, certains seront tentés de faire preuve de plus de réserve dans leurs propos. À l'inverse, l'attentat risque de provoquer des réactions simplistes, notamment sur les réseaux sociaux. Si nous en restions là, les terroristes auraient gagné. Heureusement, tout indique que ça ne sera pas le cas.

Les caricaturistes et les satiristes jouent un rôle fondamental. Ils font rire, bien sûr. Mais par le rire, ils nous amènent à réfléchir. Ils testent les limites de la liberté d'expression, garantissant que celle-ci demeure la plus grande possible. Ils sont vigilants, alors que beaucoup sont nonchalants. Ils sont courageux, ce dont ne peuvent se vanter les apôtres de la tolérance à tout prix.

Envers et contre bien des gens, les artisans de Charlie Hebdo ont persisté, sachant parfaitement à quels risques ils s'exposaient. «C'est peut-être un peu pompeux ce que je vais dire, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux», avait expliqué le directeur de la publication, Stéphane Charbonnier (Charb), tué hier.

La stupeur et la colère face à la tuerie viennent aussi du fait que la petite équipe se battait avec peu de moyens, des mots et des dessins, contre des religions établies, contre les pouvoirs politiques, et contre les extrémistes. En tuant à coups de kalachnikov des gens armés de crayons et de claviers, les terroristes ont une nouvelle fois fait la preuve de leur lâcheté.

«Oui, mais». C'est ce qu'ont répété plusieurs critiques de Charlie Hebdo au cours des dernières années. Certes, la liberté d'expression des satiristes doit être protégée, répétait-on unanimement. Mais, ajoutaient certains, il fallait éviter de «provoquer» les terroristes. Ces bémols, qu'on a continué à entendre hier, sont infondés et dangereux.

Bien sûr qu'il y a un lien de cause à effet entre les caricatures et l'attentat. C'est une évidence! Mais cela ne rend d'aucune manière la victime responsable. L'affirmer serait prétendre que la violence intégriste constitue une réponse légitime à une critique de la religion. Et donc qu'un satiriste ne serait pas une victime innocente.

La thèse de la provocation trahit une capitulation intellectuelle. Comme s'il existait un droit à ne pas être insulté, une interdiction de blasphème. Souvent, nous avons défendu ici la liberté des croyants d'exprimer leur foi sur la place publique, notamment en portant un signe ou un vêtement distinctif. Or, dans une société démocratique, ce droit a une contrepartie: la liberté d'exprimer son opinion sur les religions, d'en contester la véracité, de dénoncer l'exploitation qui en est faite, et aussi de s'en moquer.

La liberté d'expression nous confronte quotidiennement à un dilemme: faut-il être plus raisonnable que les fous en évitant de les «provoquer» ? Ou faut-il continuer, aller aussi loin que possible, pour débusquer l'obscurantisme? Chaque personne tranchera ce dilemme suivant sa conscience. Chaque média le règlera selon sa vocation propre.

Pour sa part, l'équipe éditoriale de La Presse continuera à défendre autant:

- la liberté des croyants d'exprimer publiquement leur foi;

ET

- la liberté des citoyens et des médias de critiquer, voire de ridiculiser les religions, y compris l'islam.

Longue vie à Charlie Hebdo.

*En mémoire des victimes de l'attentat d'hier à Paris et afin de démontrer notre appui aux principes fondamentaux de la liberté d'expression, les quotidiens francophones du Québec ont décidé, de concert pour une très rare fois, de publier une caricature de Mahomet du journal satirique Charlie Hebdo. S'attaquer à quelqu'un simplement pour ses idées et ses opinions est une entrave inacceptable à la démocratie. Ces médias sont: Le Journal de MontréalLe Journal de Québec24 HeuresLe DevoirLa PresseLe SoleilLe QuotidienLe DroitLa TribuneLa Voix de L'EstLe NouvellisteMétro.