D'ici la fin du siècle, on aura à Montréal des hivers aussi doux qu'en Pennsylvanie. Sans blague. C'est le groupe de recherche Ouranos qui en fait la prédiction dans son dernier rapport.

Mais bon, c'est le scénario le plus pessimiste. Et qu'il se réalise ou pas, peu de lecteurs de cette chronique risquent de se promener un jour en sandales en décembre.

Il neige. Et il continuera donc de neiger quelques années encore, même si Denis Coderre fait équipe avec Ban Ki-moon pour réduire les gaz à effet de serre.

On n'a donc d'autre choix que d'adopter la gadoue, les bancs de neige et même, misère, les abris Tempo. Et on n'a d'autre choix que d'accepter que la Ville allonge plus de 150 millions par hiver pour déneiger les rues de Montréal, comme elle le fait ce matin.

Convenons-en, elle ne peut laisser la neige au sol. Elle ne peut nettoyer un trottoir sur deux, comme cela se fait en banlieue. Elle ne peut se contenter de souffler la neige, comme à Québec. Montréal est une métropole, avec ce que cela implique quant au nombre de piétons et d'automobiles... et de déneigement tous azimuts.

Cela dit, il y a une chose qu'elle pourrait faire différemment. Une chose qui n'empêcherait pas la neige de tomber... mais qui l'empêcherait au moins de s'accumuler.

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J'avoue que la première fois que j'ai entendu parler de cette idée, j'étais sceptique : chauffer les trottoirs. Pour ne pas avoir à les déneiger.

Vraiment ?

Oui, oui, je sais. Ça se fait à Oslo, à Reykjavik et dans plein de places lointaines qu'on aime citer en exemple. Mais pour y avoir mis les pieds, laissez-moi vous dire que leurs hivers n'ont rien à voir avec nos hivers.

Pas pour nous vanter, mais ici, quand la neige décide de neiger, elle neige pas à peu près.

C'est ce qui explique que l'administration Tremblay n'a pas recouvert le Quartier des spectacles de trottoirs chauffants comme elle l'avait envisagé. Ce qui explique, aussi, que le Quartier international en soit dépourvu, sauf sur de petites superficies localisées, comme l'entrée de la Caisse de dépôt.

Non seulement la neige est abondante, mais la technologie privilégiée à la Caisse et dans certaines villes est coûteuse et fragile : on parle de circuits électriques aussi sophistiqués que vulnérables au sel et aux déplacements de sol.

J'étais donc sceptique, comme je vous disais, lorsque j'ai entendu tous ces gens réclamer des trottoirs chauffants lors de la consultation sur l'avenir de la Sainte-Cath. Tout autant quand la Ville a décidé d'étudier l'idée.

Puis j'ai parlé à Jean-Claude Michel...

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Jean-Claude Michel dirige le CCUM (Climatisation et chauffage urbain de Montréal), une immense centrale thermique située en plein coeur de Griffintown qui chauffe le tiers du centre-ville : des tours de bureaux, des centres commerciaux, des hôtels, des condos luxueux, etc.

Le chauffage, Jean-Claude Michel connaît ça. Et à son avis, il n'y aurait rien de plus facile que de chauffer les trottoirs de la Catherine. Sans utiliser un seul fil électrique.

« On n'aurait qu'à installer des tuyaux en polyéthylène sous le trottoir et y faire passer les rejets de vapeur des édifices du centre-ville. Les tuyaux ne sont pas plus gros que des tuyaux d'arrosage, ils ne coûtent presque rien, et ils permettraient d'avoir des trottoirs toujours libres de neige ! »

Ça doit quand même être plus compliqué que ça, non ? « Non ! J'arrive tout juste de Grand Rapids, au Michigan, et c'est ce qu'ils ont fait. Ils prennent le condensat rejeté par les édifices. Et plutôt que de l'envoyer dans les égouts, comme on fait ici, ils le font circuler sous les trottoirs. »

Pas plus sorcier que de réfrigérer une patinoire ou d'installer un plancher chauffant, selon Jean-Claude Michel. Et en plus, cela permettrait de recycler une source de chauffage déjà utilisée par les grands propriétaires fonciers du centre-ville.

« Et s'il en manque, pas de problème. Il n'y a que la moitié de la puissance installée du CCUM qui est utilisée. On a donc tout qu'il faut. Suffit de se donner la peine... »

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Imaginez-vous les bienfaits d'une telle solution ?

Finies, les chenillettes sur Sainte-Catherine. Finis, le mobilier urbain et les arbres abîmés par ces bolides infernaux. Et finie, par le fait même, la peur de se faire arracher une jambe par leurs conducteurs...

Plus besoin de sel, de sable, d'abrasifs. Plus besoin d'entasser la neige des trottoirs aux intersections. Plus besoin de marcher dans la gadoue et d'enjamber d'énormes bancs de neige.

Les trottoirs seraient exempts de neige en tout temps. Un intéressant projet pour une société vieillissante. Un intéressant dispositif pour que les commerçants profitent à plein de la période des Fêtes. Et un intéressant argument de vente, surtout, pour la principale artère commerciale de Montréal.

D'ailleurs, les propriétaires du centre-ville pourraient bien contribuer financièrement à un tel projet, dont ils seraient les grands bénéficiaires. Après les Montréalais, cela dit, qui auraient une raison d'aimer l'hiver. Ou de moins le haïr, en tout cas.