Pour les Catalans, il y aura désormais un «avant» et un «après» le 9 novembre 2014. Ce jour-là, plus de 2 millions d'électeurs ont défié le gouvernement de Madrid en allant voter au référendum sur l'indépendance, interdit par la Cour constitutionnelle espagnole.

Un référendum purement consultatif qui n'avait ni la prétention ni la capacité de respecter toutes les règles de la démocratie. Sans recensement, il était impossible de dresser des listes électorales fiables. Il n'y avait pas non plus de Commission électorale neutre pour superviser l'exercice, ni de représentants du camp du Non dans les bureaux de scrutin.

Les électeurs pro-Madrid ont d'ailleurs massivement boycotté ce vote strictement symbolique, dont le résultat - 80,7% pour le Oui - doit être interprété avec beaucoup de précaution.

Mais l'enjeu de cette journée historique était davantage dans la participation au vote que dans son résultat. Or, quelque 2,2 millions de Catalans, soit environ le tiers des électeurs, ont répondu à l'invitation du président catalan Artur Mas, dimanche.

Dans un référendum normal, ce taux de participation aurait été décevant. Mais c'était tout sauf un référendum normal. Les électeurs savaient qu'ils participaient à un exercice illégal, que leur vote n'aurait aucune conséquence concrète et qu'il pourrait même leur attirer des ennuis. C'est particulièrement vrai pour les employés de la fonction publique espagnole qui ont participé à l'organisation du scrutin, au risque de subir des représailles.

Que plus de 2 millions de personnes aient pris la peine de se rendre voter, souvent par familles entières, en ces circonstances, c'est énorme. Et c'est le signe d'un appui significatif à l'indépendance pure et dure de la Catalogne, du moins à la démarche du président Artur Mas, qui veut soumettre le statut de la Catalogne à un référendum en bonne et due forme.

C'est d'ailleurs lui, le grand gagnant de ce qu'il a lui-même décrit comme un «mi-sondage, mi-référendum.» Il a pris un pari risqué, et il l'a remporté, en renforçant sa position autant par rapport à Madrid que sur l'échiquier politique catalan.

Le président espagnol Mariano Rajoy a commis une grosse erreur en voulant stopper in extremis le référendum catalan, signale Xavier Arbos, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Barcelone. «Il a alors transformé une consultation douteuse en un geste de défi face à Madrid.» Du coup, il a permis au leader indépendantiste de faire étalage de sa grande capacité de mobilisation.

Sur le plan catalan, le président Mas a surtout gagné du temps, constate Antonio Roldan Mones, expert à l'institut de recherche Eurasia Group. Menacé par le parti indépendantiste pur et dur de la Gauche républicaine de Catalogne, le président Mas peut maintenant imposer ses conditions et son calendrier sur les prochaines élections législatives. Plus particulièrement, il pourra éviter de déclencher des élections hâtives, que son parti risquait de perdre.

Au-delà de ces retombées politiques, ce qui ressort de l'exercice de dimanche, c'est qu'une forte proportion de Catalans veut pouvoir se prononcer librement sur son avenir. «C'est un phénomène cohérent, qui ne peut plus être ignoré», souligne Antonio Roldan Mones.

Or, les chances que le message se rende à Madrid, dans l'état actuel des choses, sont proches du zéro absolu. Mariano Rajoy se dirige lui aussi vers de nouvelles élections législatives, prévues pour la fin de 2015. Et il a besoin de l'appui de son aile dure, pour laquelle toute concession aux nationalistes catalans est inconcevable.

En fait, on peut plutôt s'attendre à un durcissement de Madrid, prévoit le politologue québécois Alain Gagnon, qui suit de près la situation en Catalogne. Et qui dit durcissement dans la capitale dit éventuelle radicalisation à Barcelone.

En tout cas, c'est ce que nous enseigne l'histoire récente du mouvement indépendantiste catalan. Il y a quatre ans, il n'avait que 15 à 20% d'appuis. De blocage en blocage, cet appui est passé à 50%.

Les Catalans sont très divisés sur leur avenir. Et une forte majorité se contenterait vraisemblablement d'une «troisième voie», en forme de dévolution de pouvoirs. Mais plus le gouvernement central se braque, plus l'option indépendantiste gagne en popularité.

Tôt ou tard, Madrid devra écouter la voix des Catalans. Et le plus tôt sera le mieux. Pour tous les Espagnols, qui n'ont rien à gagner d'une crise qui se prolonge à l'infini.