Le mouvement syndical a contribué au progrès social et à l'avènement du Québec moderne. Encore maintenant, il joue un rôle important pour encadrer les travailleurs et défendre leurs intérêts, comme partenaire social et comme acteur du développement du Québec, par exemple avec le Fonds de solidarité.

Mais il y a quelque chose de parfaitement schizophrène dans le syndicalisme québécois. Ces organisations sérieuses, avec leurs dirigeants responsables, se transforment souvent en parfaits gauchistes lorsqu'ils interviennent dans le débat public, comme si leurs fonctions strictement syndicales et leur contribution aux débats de société appartenaient à deux univers.

On a eu deux exemples, la semaine dernière, de ces interventions publiques qui rappellent à quel point le syndicalisme a perdu sa pertinence dans une société qui a besoin de conversations adultes, et qui illustrent à quel point il incarne maintenant une culture de l'inertie.

Le premier exemple, c'est le dépôt par le front commun des centrales syndicales et d'autres syndicats d'employés de l'État, représentant 400 000 personnes, de leurs demandes syndicales pour le renouvellement de leurs conventions collectives: 4,5% par année pour trois ans, pour un total de 13,5%.

Le gouvernement n'est pas capable d'accéder à ces demandes, qu'il chiffre à 5,2 milliards et que le front commun évalue à 3,0 milliards. Même s'il est vrai que les employés de l'État méritent un rattrapage avec le privé, le gouvernement du Québec, en crise financière, n'a pas cet argent, peu importe quel parti est au pouvoir. On dira qu'il s'agit d'une «position de négociation», un rituel un peu bébête où on demande trop pour avoir moins. Mais comme l'État est en situation de déficit, le mouvement syndical propose en fait au gouvernement de s'endetter pour payer ces hausses salariales et donc de refiler la facture aux citoyens de demain. C'est une approche immature.

Comment les centrales peuvent-elles tenir sérieusement ce discours? En faisant semblant que la crise financière n'existe pas.

Cette dissonance cognitive est illustrée par l'autre initiative syndicale de la semaine dernière, sa participation à des manifestations avec des alliés habituels, l'ASSÉ, la «société civile», la mouvance d'organismes proches de Québec solidaire, sous le thème «Refusons l'austérité». Il fallait y penser. Si on refuse l'austérité, elle disparait. Pouf!

Et pourtant, l'austérité est bien là. Elle n'est pas de type européen. Le gouvernement libéral ne réduit pas ses dépenses, il ne fait que ralentir leur croissance, qui sera de 1,8% cette année et de 0,7% l'an prochain. Ce n'est pas le genre d'austérité que dénonce le prix Nobel Joseph Stiglitz, cité ad nauseam par la gauche québécoise. Mais cela exige des efforts considérables, des compressions de 3,5 milliards cette année, et autant l'an prochain, dont les impacts sont très sévères, assez pour qu'on puisse parler d'austérité.

On peut être contre les mesures privilégiées par le gouvernement libéral, même si on sait que ses efforts sont de la même ampleur que celle que prévoyait le gouvernement Marois. On peut être contre son échéancier et dire qu'il faudrait y aller plus doucement. Mais contre l'austérité? Si les centrales sont contre, elles sont pour quoi, au juste?

Le seul courant de pensée carrément opposé à l'austérité, c'est Québec solidaire, qui ne se préoccupe pas vraiment du déficit, et qui a une solution, des milliards de plus d'impôt. Dans leur opposition à l'austérité, avec les alliances qu'elles tissent, les centrales se retrouvent ainsi à épouser les thèses de cette sous-culture politique marginale, qui n'est pourtant pas celle de leurs membres.

En finances publiques, comme ailleurs, si on attend trop pour régler un problème, il ne fait qu'empirer. Si on ne fait rien maintenant, si on «refuse» l'austérité, comme le prône le mouvement syndical, c'est la meilleure façon de compromettre l'intégrité du modèle québécois.