Sur la forme, Pierre Karl Péladeau a raison: lorsqu'il intervient à l'Assemblée nationale sur des questions touchant l'avenir de certaines entreprises ou de programmes gouvernementaux qui leur sont destinés, il le fait pour le bien de l'économie du Québec.

C'est justement là le problème, parce que sur le fond, le géant (Québecor) dont il est l'actionnaire principal a des tentacules partout dans l'économie du Québec, ce qui crée, à chaque intervention délicate, l'apparence de conflit d'intérêts.

On l'a vu, encore une fois, hier. Un article du Devoir a relaté les interventions du député de Saint-Jérôme et critique du PQ en matière d'économie et d'entrepreneuriat contre la diminution des crédits d'impôt pour la production cinématographique et télévisuelle. Cette deuxième affaire rappelle la première controverse entourant l'intervention de M. Péladeau appuyant le maintien, entre des mains québécoises, des Studios Mel's, qui ont finalement été achetés par une filiale de Québecor. Studios de tournage, crédits d'impôt pour production cinématographie, interventions de l'actionnaire de contrôle de Québecor auprès du gouvernement... Pas besoin d'un MBA pour comprendre que nous sommes ici, à tout le moins, dans l'apparence de conflit d'intérêts.

Je ne doute pas que PKP ait à coeur l'intérêt de l'économie du Québec et le développement de nos entreprises, mais dans ces deux cas précis, l'intérêt de l'économie québécoise favorise directement, ô surprise, l'intérêt de Québecor.

«Je ne suis pas le seul actionnaire de Québecor», s'est maladroitement défendu PKP au micro de Jacques Beauchamp, hier à Radio-Canada, avant d'ajouter: «Quand on travaille pour l'intérêt général, il n'y a pas de conflit d'intérêts.» C'est un peu facile.

Intérêt général et intérêts particuliers peuvent très bien aller de pair. Il est fort possible, comme le dit PKP, que les crédits d'impôt en cinéma favorisent le maintien d'emplois dans cette industrie et la venue de tournages ici, mais il se trouve qu'ils favorisent aussi les affaires de Québecor. Cela est indéniable, quoi qu'en dise PKP.

Il ne s'agit pas de pénaliser Québecor ou d'empêcher Pierre Karl Péladeau de faire de la politique. Il s'agit de tracer une ligne entre les affaires d'un entrepreneur et les affaires de l'État.

Québecor est au 13e rang des entreprises les plus importantes du Québec, selon Les Affaires (au 10e rang, en fait, si on enlève Hydro-Québec, qui est une société d'État, et Walmart et McDonald's, qui ne sont pas des entreprises québécoises). L'économie du Québec se porte mieux avec une Québecor en santé qu'une Québecor souffreteuse, mais un élu ne peut défendre à la fois les intérêts du Québec et ceux de son entreprise. Simple question d'intégrité, le sujet de prédilection et le principal moteur du gouvernement Marois au cours de sa première année de son court mandat.

Hier, le grand patron de l'informatique au Québec, Jean-Guy Lemieux, a dû quitter son poste parce que son frère est vice-président chez CGI, un important fournisseur informatique du gouvernement du Québec. Il est fort possible que l'achat de services à CGI soit dans l'intérêt général du Québec, mais il est inacceptable que les contrats entre l'État et le privé se négocient et se concluent entre deux frères. Si on convient de cela, on conviendra facilement que le grand patron d'un empire devenu député ne peut intervenir dans des dossiers touchant directement les activités de son entreprise.

D'autant que Pierre Karl Péladeau est connu comme un entrepreneur très «hands-on», très impliqué, très présent, jusque dans la microgestion de Québecor.

Tous les élus qui fréquentent PKP à Québec depuis avril le décrivent comme «intense», terriblement partisan et parfois même intimidant. Il veille aussi, apparemment, aux affaires de sa femme, l'animatrice et productrice Julie Snyder. Il y a quelques semaines, lors d'un dîner officiel en présence du président de l'Allemagne, à Québec, M. Péladeau était assis à la table d'honneur. Sans ménagement, et sans égard pour les invités, il a apostrophé une ministre libérale parce que le ministère du Tourisme a refusé une subvention à Productions J, qui voulait monnayer les superbes prises de vue de Montréal dans l'émission L'été indien. Léger malaise à la table...

Pierre Karl Péladeau a pris ses distances de Québecor, évidemment, depuis son élection à Québec, mais le fait qu'il veuille absolument garder ses actions démontre à quel point il est attaché à l'entreprise fondée par son père.

C'est naturel, mais le passage en politique et le service public imposent des choix, notamment celui de la transparence et de l'intégrité.

Évidemment, il y a beaucoup de politique dans les commentaires des libéraux et des caquistes contre PKP. Après tout, il est, vraisemblablement, leur prochain adversaire. Le fait, notamment, de tenir une commission parlementaire sur le cas d'un seul député - PKP - crée un malaise. L'affaire, grave et sérieuse, devrait se régler hors du cadre partisan de l'Assemblée nationale. Peut-être un comité de sages composé d'ex-parlementaires émérites?

Hier, M. Péladeau a ridiculisé ses critiques sur son compte Twitter: «Libéraux et caquistes m'accusent de conflit d'intérêt dans mon travail de porte parole. Bientôt ce sera l'éducation puisque j'ai des enfants.»

Joli jeu de mots, M. Péladeau, mais contrairement à l'entreprise dont vous êtes le principal actionnaire, vos enfants ne vous feront pas faire d'argent.