Avant l'instauration, au fédéral, des élections à date fixe, le parti au pouvoir profitait de l'«avantage du calendrier» pour mener campagne à coups de fonds publics. On disait alors que la précampagne durait six mois. Maintenant que tous les partis connaissent la date des prochaines élections, celle-ci risque de durer un an!

C'est ce qu'on a constaté, en tout cas, cette semaine, avec un premier blitz de Stephen Harper, Thomas Mulcair et Justin Trudeau. Tous les trois semblent résolument en campagne électorale.

La joute, de toute évidence, sera longue. Nous n'en sommes qu'au réchauffement, mais déjà, le chef néo-démocrate, Thomas Mulcair, se démarque de ses adversaires.

Le NPD mise beaucoup sur son chef, qui semble s'être émancipé du souvenir et de l'ombre de Jack Layton. On voit Thomas Mulcair dans toutes les pubs, dans tous les messages vidéo du NPD, «front and center», comme disent les anglophones. M. Mulcair est souriant (à dessein pour contrer sa réputation d'ours mal léché), décidé et charismatique. À l'écran, avec son gabarit et sa barbe, il est imposant, mais pas revêche.

Si Thomas Mulcair a gagné la pré-précampagne, l'empressement du NPD d'occuper le plus d'espace possible démontre toutefois qu'il entame cette longue course en retard. Les stratèges néo-démocrates ont compris qu'ils devront mettre toute la gomme, et ce, dès maintenant, pour remonter la pente et à terme s'imposer. La stratégie semble avoir porté ses fruits depuis quelques semaines au Québec, où le NPD a repris du poil de la bête.

Les stratèges politiques hésitent toujours à abattre leurs cartes électorales trop vite. Un an, c'est deux ou trois éternités en politique. On court toujours le risque de se faire piquer ses idées (parlez-en à François Legault!) ou de se faire ridiculiser par ses adversaires. Et puis, la mémoire collective étant plutôt courte, rien ne garantit à un parti politique que les électeurs se souviendront de ses engagements un an plus tard.

N'empêche, Thomas Mulcair a décidé d'abattre une grosse carte dès le début de la partie en promettant un programme national de garderies (coût estimé: cinq milliards) inspiré du modèle des CPE québécois. Prudent, le NPD indique d'emblée que le Québec pourra se soustraire du programme avec compensation.

La manoeuvre est habile parce qu'elle permet au NPD de se positionner très tôt comme la seule vraie solution de rechange progressiste, avec des idées concrètes pour la classe moyenne et les familles. Et comme Thomas Mulcair a emprunté une page des anciens livres rouges libéraux, qui ont promis un tel programme pendant des décennies sans parvenir à «livrer», il sera difficile pour Justin Trudeau et ses troupes de critiquer le NPD.

Les conservateurs de Stephen Harper et leurs alliés, surtout dans l'Ouest, s'opposeront à cette mesure, mais pour le NPD, qui cherche à se démarquer à gauche, c'est tant mieux. Le principal adversaire du NPD, ce n'est pas le Parti conservateur, mais bien le Parti libéral. Les conservateurs monopolisant les domaines «baisses d'impôts» et «réduction de la taille de l'État», il serait inutile et contre-intuitif pour le NPD de jouer dans ces platebandes. L'idée est de damer le pion aux libéraux, qui tardent à proposer des idées concrètes aux Canadiens.

Même si le NPD attaque moins directement Justin Trudeau (vedette de plusieurs publicités négatives des conservateurs) que ne le fait le Parti conservateur, Thomas Mulcair ne manque aucune occasion d'affirmer qu'il est prêt, lui, à assumer le pouvoir.

Dans le même coin centre-gauche, Justin Trudeau joue de prudence, se contentant pour le moment de principes larges et d'engagements généraux.

Ses conseillers ont très peur de se faire chiper leurs idées ou de donner des munitions aux conservateurs en abattant leurs cartes trop tôt. En revanche, sa plus grande faiblesse, c'est justement le manque de substance. Les conservateurs, comme les néo-démocrates, ne se privent pas de taper sur ce clou.

Hier après-midi, coup sur coup, deux ministres conservateurs (Peter MacKay à la Justice et Denis Lebel à l'Infrastructure) ont tweeté des messages critiquant Justin Trudeau, lui reprochant d'être incohérent. Mieux vaut vous y habituer, les messages de ce genre vont devenir de plus en plus courants d'ici octobre 2015.

Un mot, en terminant, sur un engagement de Justin Trudeau, pris à Québec, mardi: tenir une rencontre annuelle avec les premiers ministres des provinces.

Pas de quoi écrire à sa mère, direz-vous. En fait, c'est même du recyclage d'un engagement de Paul Martin.

Mineur, peut-être, comme engagement, mais cela ne veut pas dire qu'il soit insignifiant. À quand remonte la dernière rencontre fédérale-provinciale sous Stephen Harper? Octobre 2008. Et ce n'est pas parce que les premiers ministres provinciaux ne l'ont pas invité à se joindre à eux, au contraire.

Vous trouvez ça normal, vous, que le premier ministre du Canada parcoure chaque année des dizaines de milliers de kilomètres à travers le monde pour rencontrer des leaders étrangers, dont certains sont totalement insignifiants pour le Canada, mais qu'il boude (ou méprise, c'est selon) ses premiers partenaires dans la fédération canadienne?

Moi pas.

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