Il y en a que le stress garde éveillés la nuit. Pour d'autres, ce sont les soucis financiers. Moi, mes dernières nuits d'insomnie, je les dois à la rue Sainte-Catherine.

À chacun ses névroses.

J'avoue avoir eu de la difficulté à me brancher au sujet du réaménagement de la principale artère commerciale de la métropole. On va refaire toutes les infrastructures souterraines d'Atwater à De Bleury dès 2016, mais bon Dieu, que faire de la rue en surface?

Quatre scénarios sont sur la table, allant du statu quo avec transport en commun bonifié au retrait de voies de circulation. Pas mal. Mais pas emballant.

Or on parle ici de l'artère emblématique de la ville, celle que les Montréalais prennent d'assaut 24 heures sur 24, celle qui a fait la renommée de la métropole.

Veut-on vraiment un concept... pas si tant pire?

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Pour me secouer les neurones, j'ai lunché (rue Sainte-Catherine) avec deux experts qui ont une vision opposée du réaménagement, le journaliste économique Pierre Duhamel et le directeur de l'organisme Vivre en ville, Christian Savard.

Pierre a une vision, disons, terre à terre de la Sainte-Cath. Il la trouve maganée, chaotique et rapiécée... et il aime ça comme ça. Car l'artère n'en est pas moins charmante, accueillante et vibrante.

Sa crainte: que l'on ne se contente pas de l'améliorer, mais qu'on tente de la transformer en la piétonnisant et en marginalisant ainsi davantage l'auto. «Pas compliqué, me dit-il, on va étouffer Sainte-Catherine si on rend la vie misérable aux commerçants, à leurs employés, leurs clients et leurs fournisseurs qui utilisent leur véhicule.»

Pierre propose donc qu'on refasse Sainte-Catherine sans la réinventer, mais qu'on piétonnise parallèlement l'avenue McGill College, dont le potentiel est sous-exploité.

Pas bête.

Puis j'ai mangé avec Christian, qui considère plutôt qu'il faut repenser la rue, y empêcher le transit et n'y permettre que la circulation de desserte. Il propose de couper de moitié les quatre voies destinées à l'auto (deux de circulation, deux de stationnement) afin de garder un filet de circulation, puis de jalonner la rue de secteurs piétons et d'autres, plus ouverts à la voiture.

«Sainte-Catherine marche sur son succès passé, me dit-il. La seule façon de garder une rue forte à long terme, c'est en améliorant son ambiance. Et ce n'est pas en donnant quelques centimètres à des trottoirs déjà bondés qu'on va y arriver. Il faut un geste plus fort.»

Bon point.

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Je suis sorti de ces deux lunchs aussi mélangé qu'avant. Je trouvais que Pierre et Christian avaient tous deux de bons points.

Sainte-Catherine est un lieu emblématique à la personnalité forte. Un lieu qui offre une ambiance unique, qui est recherché par les commerçants, assailli par les clients, populaire auprès des touristes et des noctambules. If it ain't broken... pourquoi la réparer?

Mais en même temps, il est évident que la concurrence de la banlieue lui rentre dans le corps, que l'expérience piétonne est au mieux tolérable, que l'auto prend trop de place. Va-t-on vraiment recréer une rue conçue à une époque où la voiture était plus importante que les personnes qui en descendaient?

J'en étais venu, ces derniers jours, à la conclusion qu'il fallait une rue à géométrie variable, avec des tronçons où le piéton est plus à l'aise, d'autres pour le stationnement de rue, et ce, tout en gardant une bonne circulation. Une solution molle, en fait, qui me laissait aussi insatisfait que les quatre scénarios de la Ville.

Puis je me suis pointé au point de presse de Richard Bergeron, jeudi...

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L'auteur du Livre noir de l'automobile aurait bien pu proposer une piétonnisation intégrale de la rue. Mais non, Richard Bergeron a proposé LA solution, celle qui nous permettrait de faire un projet non pas pour les 25 prochaines années, mais pour les 100 prochaines années... sans avoir à trancher définitivement sur les centimètres à accorder à chaque usager.

Rien de sorcier: il propose d'étendre vers l'ouest le concept déjà adopté dans la rue Sainte-Catherine entre la Place des Arts et le Complexe Desjardins. «Un concept hybride, a-t-il précisé, parfaitement confortable lorsque piétonnisé et parfaitement fonctionnel pour la circulation et le stationnement en dehors des périodes de piétonnisation.»

En un mot, il suggère que Sainte-Cath soit modulable au gré des saisons et des événements, comme elle l'est dans le Quartier des spectacles. En ayant privilégié un trottoir en matériaux nobles qui se fond à la rue, signalé par des bollards amovibles, la Ville peut élargir les trottoirs, retrancher des voies de circulation, créer des espaces piétons comme bon lui semble.

«On laisse ainsi toutes les options ouvertes, m'a-t-il expliqué. On peut jouer avec la circulation. On peut ajouter des terrasses. On peut garder le stationnement de rue, puis le retirer au besoin, ou même complètement à long terme.»

On peut, en d'autres termes, réaménager Sainte-Catherine sans tout casser. On peut la renforcer... sans la dénaturer.

Wow! la solution existe, finalement. Je peux enfin dormir sur mes deux oreilles.