L'intimidation a le dos large. Comme ma collègue Rima, qui dénonçait hier le fourre-tout qu'est devenue cette expression, je ressens un profond malaise quand on qualifie d'intimidation des choses aussi différentes qu'un coup de klaxon et une vacherie envoyée sur Twitter.

Celui qui intimide ne fait pas que manifester son impatience ou sa frustration, il profite d'un rapport de force inégal pour engendrer un sentiment de peur. Il veut, délibérément, provoquer la détresse chez sa victime.

Relativisons donc. L'automobiliste qui klaxonne une vieille dame ne l'intimide pas. Le citoyen qui insulte un ministre sur les réseaux sociaux non plus. Pas plus que l'élève qui en bouscule un autre par simple mécontentement.

Mais le manifestant qui entre à l'hôtel de ville, vandalise les lieux, rudoie ceux qu'il croise et pourchasse le maire jusqu'à son bureau, lui par contre, il fait de l'intimidation. Clairement.

***

La coïncidence est fortuite, mais elle n'en est pas moins frappante. Alors que le gouvernement Couillard tenait à Québec un vaste forum sur la lutte contre l'intimidation, hier, l'administration Coderre dévoilait sa propre réponse à l'intimidation dont elle a été victime, lors du saccage de l'hôtel de ville à la mi-août.

L'outrage était sans précédent, les sanctions le sont tout autant: 57 employés municipaux sont suspendus pour des périodes allant jusqu'à six mois et six pompiers sont congédiés.

Malheureusement, on ne sait ce qu'ont fait précisément ces six pompiers lors de la manifestation contre le projet de loi sur les régimes de retraite, car on n'a pas accès aux conclusions des enquêtes menées ces dernières semaines par la Ville et le contrôleur général. Mais pour en avoir une bonne idée, il suffisait d'être sur place le 18 août dernier ou de parler à des témoins directs des événements.

Des employés municipaux ont cassé des fenêtres, vandalisé le matériel du conseil et rudoyé des agents de sécurité. D'autres ont lancé des détritus, projeté des verres de vitre en direction des élus et pourchassé Denis Coderre jusqu'à son bureau.

Une fois sur la terrasse attenante au bureau du maire, plusieurs ont frappé à répétition dans les portes et les fenêtres. Ils ont arraché un climatiseur qui s'y trouvait. Un d'entre eux a même tenté de forcer son entrée dans le bureau en poussant la porte que bloquaient péniblement les proches de M. Coderre...

Grave, vous dites? Imaginez la même scène dans une autre enceinte démocratique, au parlement par exemple, ou à la Chambre des communes. Im-pen-sa-ble.

On parle ici d'employés ayant pour mandat d'assurer la sécurité de la ville... qui plongent les élus qui la dirigent dans l'insécurité! Et qui, lorsqu'ils se font taper sur les doigts, se disent victime d'un «matamore».

C'est comme si un élève ayant donné un coup de poing à son camarade l'accusait ensuite d'en être responsable!

Les manifestants n'ont pas frappé le maire, c'est vrai. Ils ne l'ont pas même touché. Mais en tentant de le faire plier sous la menace, ils l'ont intimidé. Ce qui est tout aussi inacceptable.

***

«En affirmant clairement notre réprobation sociale contre de tels comportements, nous disons non à l'intimidation sous toutes ses formes.»

La phrase est de Philippe Couillard, qui présidait hier le Forum sur l'intimidation. Elle ne concerne donc pas les manifestations du 18 août dernier, mais elle s'y applique à merveille tant l'intimidation qui était au coeur des discussions à Québec ressemble à celle qui a eu lieu à Montréal.

Une intimidation qui n'a peut-être pas compromis la «dignité humaine», mais qui a causé un sérieux préjudice à la démocratie représentative. Une intimidation qui ne visait pas des aînés en CHSLD, mais qui n'a pas plus sa place dans notre société. Une intimidation qui ne ciblait pas un écolier vulnérable, mais qui avait néanmoins pour but de «forcer une personne à faire ou à ne pas faire quelque chose», comme le veut la définition.

La décision de l'administration Coderre est à la fois sévère et courageuse, surtout quand on se rappelle l'à-plat-ventrisme de plusieurs administrations passées. Elle était aussi nécessaire. Pour prévenir une dangereuse escalade des moyens de pression dans le contexte actuel. Et pour prévenir une répétition de gestes aussi disgracieux à l'avenir, dans d'autres dossiers.

Il y a évidemment un risque d'embrasement après une réplique aussi musclée de la part de l'administration. Mais ce risque devait être pris, car «en affirmant clairement leur réprobation contre de tels comportements», pour reprendre à nouveau les propos de M. Couillard, les élus ont contribué à leur façon à dire «non à l'intimidation».