Ce n'est pas la première fois que les Hongkongais descendent dans les rues pour protester contre l'autoritarisme de Pékin.

Dès 2003, à peine six ans après avoir rapatrié l'ancienne colonie britannique, le gouvernement chinois avait tenté d'y resserrer la sécurité pour lutter contre la «subversion.» Cette manoeuvre d'empiétement sur l'autonomie de l'île avait soulevé une grogne telle que Pékin avait fini par reculer.

En 2012, la capitale est revenue à la charge, cette fois avec un projet visant à injecter davantage de «patriotisme» dans les programmes éducatifs de Hong Kong. Là encore, les dirigeants chinois se sont heurtés à un mur. Et la réforme n'a pas eu lieu.

Depuis que la Chine a repris possession de cette île, après 150 ans de règne britannique, Hong Kong et Pékin n'ont cessé de se livrer à une incessante partie de bras de fer, constate Jeff Wasserstrom, spécialiste de la Chine à l'Université de Californie.

«Sauf que cette fois, les enjeux sont beaucoup plus importants», note cet expert qui a signé un essai sur la Chine au XXIe siècle.

L'ampleur du mouvement de protestation qui a déferlé sur Hong Kong au cours du week-end, et la ligne dure adoptée par Pékin donnent effectivement à cette nouvelle confrontation des allures d'épreuve de force.

Au coeur du litige: la nature même du régime hongkongais, et la promesse de statut particulier - et de démocratie - faite aux habitants du territoire au moment où ils ont quitté le giron britannique.

Dix-sept années ont passé, au cours desquelles Pékin a tenté plus ou moins subtilement, et avec plus ou moins de succès, de gruger l'espace de liberté dont jouit ce territoire. Repoussant le moment de vérité, celui où l'on définirait la nature du régime politique aux commandes de Hong Kong.

Finalement, la date du premier scrutin permettant aux Hongkongais d'élire leurs dirigeants a été fixée à 2017. Quel genre de scrutin? Va pour une élection libre, mais entre des candidats soigneusement sélectionnés par les dirigeants chinois, a tranché Pékin.

Vue de Hong Kong, cette proposition n'est rien d'autre qu'une «insulte à l'intelligence», écrit Anson Chan, secrétaire générale du gouvernement de Hong Kong à la fin du règne britannique.

«Notre loi fondamentale affirme que nous aurons le droit d'élire nos dirigeants, et on nous dit que nous ne sommes toujours pas prêts à la démocratie», dénonce-t-elle.

En réalité, c'est plutôt Pékin qui n'est pas prêt à la démocratie, et c'est bien là que le bât blesse. Car Hong Kong a beau jouir d'un statut particulier, les dirigeants craignent par-dessus tout l'effet de contagion. Si les électeurs de Hong Kong devaient pouvoir voter pour des candidats librement choisis, comment justifier que leurs compatriotes de la Chine continentale ne puissent en faire autant?

La crise qui secoue Hong Kong n'est donc pas un soubresaut périphérique. C'est une crise de fond. Dans la forme, le mouvement de protestation fait écho à d'autres soulèvements populaires récents. Il a un symbole: celui des parapluies dont les manifestants se servent pour se protéger contre les gaz lacrymogènes. Il a un slogan: #occupycentral. Il a même une chanson thème: À la volonté du peuple, tirée des Misérabless.

Comme on l'a vu ailleurs, aussi, le mouvement de protestation pacifique s'est étendu, plutôt que de plier devant la répression. «Au début, beaucoup de gens étaient ambivalents, mais la répression de jeunes étudiants en a incité plusieurs à les rejoindre, constate Jeff Wasserstrom. Ils ont eu peur que leur avenir ne soit bien sombre s'ils n'agissent pas.»

Une vague de protestation qui s'amplifie et qui devient de plus en plus intransigeante dans ses demandes. Un régime qui se braque. L'affrontement violent est-il encore évitable?

Oui, croient les experts. D'abord parce que le régime a encore quelques atouts dans son jeu pour faire baisser la pression. Il pourrait par exemple remplacer le chef de l'exécutif de Hong Kong, Leung Chun-Ying, qui cristallise la colère des manifestants. Il pourrait aussi offrir des élections libres générales au conseil législatif municipal (actuellement, seule une partie de conseillers est élue au suffrage universel.)

Il pourrait, enfin, élargir le comité de sélection des candidats aux postes de dirigeants de l'île, augmentant ainsi le pouvoir d'influence de Hong Kong.

Une partie de l'élite économique de Hong Kong se contenterait sans doute de ce genre de demi-mesures. Tandis qu'une répression trop violente risque de la faire basculer dans le camp des démocrates.

Ce qui est clair, c'est que la protestation a déjà dépassé tout ce que le régime - mais aussi, sans doute, les manifestants eux-mêmes - pouvait imaginer. Et que tous les scénarios restent possibles. Y compris celui du grand dérapage.