Le maire Coderre est en Californie pour positionner la métropole comme «un des leaders mondialement reconnus dans le domaine numérique à titre de ville intelligente». Une bonne chose.

Mais j'oserais une question: pourquoi son équipe, pendant ce temps à Montréal, fait-elle tout pour bloquer Uber, une technologie qui a justement le potentiel de faire de la métropole une «ville intelligente»?

Uber, c'est cette application qui fait trembler l'industrie du taxi, ici comme ailleurs. Une application qui transforme les déplacements en ville. Une application qui a le potentiel de transformer la ville.

Suffit de l'essayer pour s'en convaincre. Une fois vos données entrées, vous pouvez vous déplacer sans jamais appeler ou héler un taxi, sans attendre, sans chercher votre chemin, sans sortir votre portefeuille, compter votre argent, calculer le pourboire...

Vous entrez votre destination. Vous appuyez sur un bouton. C'est tout.

Et ce n'est que le balbutiement de ce qu'offre Uber. Si j'étais membre d'une industrie dont la dernière innovation est le radio-dispatch, je tremblerais aussi.

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Uber, c'est le bad boy des start-ups californiennes. L'entreprise qui tente de faire sa place en se jouant des règles. D'où une levée de boucliers dans les 200 villes où elle s'est implantée.

C'est que la nébuleuse Uber n'entre dans aucune case. Il y a d'abord la division «Uber», le service qui roule à Montréal depuis près d'un an avec la collaboration des chauffeurs de taxi (pas des compagnies de taxi).

Mais il y aussi UberPool, qui permet le covoiturage assisté par téléphone; UberRush, qui assure la livraison de colis; et surtout UberX (UberPOP en Europe), qui permet à tout propriétaire de voiture de devenir chauffeur à ses heures, et aux usagers de profiter de trajets 40% moins chers que le taxi.

Voilà le service qui fait trembler partout dans le monde, incluant Montréal, dont il est aux portes.

Uber est une curieuse entreprise, donc, qui ne cadre pas dans le système actuel. Mais c'est aussi une entreprise qui peut vite trouver sa place dans le cocktail de transport urbain et inciter encore un peu plus les citadins à se départir de leur voiture.

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Le problème est-il donc Uber? Ou les règlements qui interdisent Uber?

Montréal refuse ne serait-ce que de poser la question. Uber est illégal, a tranché le Bureau du taxi. Point.

On peut jouer à ce petit jeu. Mais tenter de bloquer Uber, c'est comme fermer la porte pour éviter que la montée des eaux n'inonde la maison. L'eau trouvera son chemin, comme Uber.

Et si ce n'est Uber, ce sera Lyft, SideCar, Haxi, Summon ou n'importe quelle autre application de la «sharing economy» qui remet en question l'ordre établi (comme Airbnb dans l'hôtellerie).

C'est un combat perdu d'avance, même s'il mène à quelques victoires judiciaires (rappelez-vous Napster), car à la minute où les usagers l'adoptent, la technologie trouve aussitôt une place dans leurs habitudes. L'industrie a alors le choix de s'adapter, ou de mourir.

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Les compagnies de taxi, bien entendu, n'y voient qu'une menace à éliminer avec la complicité de la Ville. Une de plus, car que ce soit Uber, la 747, Communauto, Car2Go, Auto-mobile ou le BIXI, c'est toujours la même histoire: elles crient à la concurrence déloyale et rappellent qu'elles ont de la difficulté à survivre.

Peut-être. Mais dans ce cas, pourquoi l'industrie n'a-t-elle pas évolué en réaction à la concurrence? Pourquoi n'a-t-elle pas amélioré son service à la clientèle? Pourquoi est-il encore si difficile de payer avec une carte de crédit (en 2014!)?

Certes, des entreprises comme Diamond ont sorti des applications qui ressemblent à celle d'Uber. La Ville a publié une politique où l'on prévoit l'implantation du GPS et du paiement électronique, éventuellement.

C'est bien. Mais la révolution Uber n'est pas que dans les gadgets qui la rendent possible, elle est aussi dans l'approche axée sur l'usager. Après chaque course, ce dernier note son expérience sur cinq. Si la note moyenne du chauffeur passe sous les 4,5, il reçoit un avertissement. Si rien ne change après un mois, il est exclu d'Uber ou doit suivre une formation supplémentaire.

Comparez cela avec le système actuel de taxi, où vous ne pouvez qu'ajouter votre plainte aux 600 autres acheminées chaque année... sans jamais constater d'impact sur la qualité du service.

Plutôt que de résister, pourquoi la Ville ne se montre-t-elle pas plus ouverte aux changements, comme San Francisco? Pourquoi ne pas encadrer la pratique d'Uber en imposant des inspections de véhicules, une formation, des assurances et un mécanisme de contrôle de la qualité? Pourquoi ne pas exiger une vérification des antécédents criminels et de conduite aux chauffeurs d'UberX (ce que ne fait même pas l'industrie du taxi à Montréal!)?

Bref, plutôt que d'offrir une vaine résistance au changement technologique parce qu'il remet en question des habitudes bien ancrées, pourquoi ne pas remettre en question ces habitudes? C'est ce que ferait une vraie «ville intelligente», non?