Pas mal de gens se demandaient comment le Dr Gaétan Barrette, auparavant président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), réussirait son passage en politique.

On a eu deux réponses à ces questions cette semaine. Tout d'abord, le ministre de la Santé et des Services sociaux est arrivé à une entente avec les deux fédérations de médecins, les omnipraticiens et les spécialistes, où il a réussi à convaincre ses anciens collègues de reculer sur des gains qu'il avait lui-même contribué à arracher au gouvernement.

Mais surtout, il a déclenché une réforme majeure du système de santé en déposant hier le projet de loi 10, qui repense de fond en comble la gouvernance et les structures administratives du réseau. À ce chapitre, le ministre fait preuve de cohérence interne. Lorsqu'il était président de la FMSQ, il a dénoncé à plusieurs reprises l'hypertrophie administrative du réseau de la santé, la lourdeur de ses structures, le nombre de ses cadres. Et il a mis au service de l'État un des traits de sa personnalité, celui du bulldozer.

Il est difficile de ne pas être sceptique devant cet énième effort. Le réseau de la santé est en effet passé d'une réorganisation à l'autre sans que l'on réussisse vraiment à le rendre efficace. Cette nouvelle réforme consiste d'ailleurs, du moins en partie, à corriger celle qu'avait lancée il y a 10 ans Philippe Couillard, quand il était ministre de la Santé.

Celui-ci avait aboli les régies régionales de la santé pour les remplacer par des agences régionales, et créé les centres de santé et de services sociaux, les C3S dans le jargon du milieu, qui regroupaient sous un même chapeau des établissements d'un territoire - CLSC, centres d'hébergement, etc. Cela a permis de réduire le nombre de conseils d'administration et de directions, ainsi que de forcer une fusion des syndicats.

Cette réforme a toutefois eu un effet pervers, en donnant naissance à un nouveau niveau administratif: les 95 C3S, qui a transformé le monstre à deux têtes, un réseau tiraillé entre le ministère et ses 18 agences régionales, en un monstre à trois têtes. Assez pour qu'il soit devenu difficile de savoir qui faisait quoi.

La réforme proposée par le Dr Barrette, du moins sur papier, a l'avantage de la simplicité. Elle fusionne tous les établissements d'une même région, avec une administration commune, pour former des Centres intégrés de santé et de services sociaux. Un seul par région, un total de 14, sauf pour Montréal qui en aura cinq. Pour la première fois, on tient compte de la spécificité montréalaise, en excluant en outre des nouvelles structures de quatre institutions montréalaises qualifiées de supra-régionales: le CHUM, le CUSM, Sainte-Justine et l'Institut de cardiologie.

Mais il manque beaucoup de pièces au puzzle pour pouvoir mesurer ses bienfaits. Il n'est pas évident qu'elle permettra d'importantes économies, notamment en raison de la sécurité d'emploi, mais aussi parce que les besoins administratifs ne disparaissent pas par décret. En principe, les gains proviendront davantage d'une plus grande cohérence des décisions, d'une meilleure allocation des ressources.

Cela dépendra toutefois de ce qu'on fait de ces nouvelles structures. Comment se prendront les décisions. Qui décidera? Le ministère? Les nouveaux centres? Le projet de loi semble annoncer une centralisation plus grande et un déplacement du pouvoir vers le ministère, avec la lourdeur et l'arbitraire qui vient avec, ce qui va à l'encontre de toutes les tendances dans le monde industrialisé.

Enfin, n'oublions pas que la finalité de cette initiative est d'améliorer les soins à la population. Mais il y a un risque, avec une réorganisation de cette ampleur, que toutes les énergies créatrices du réseau soient absorbées par la gestion de cette réforme et par les débats de structures.