La Société du Vieux-Port est bien discrète depuis deux ans, depuis en fait que le gouvernement Harper a limogé l'ancienne direction sans crier gare. Maintenant intégrée à la Société immobilière du Canada, elle continue néanmoins de gérer le site et songe même à un vaste réaménagement en vue des célébrations du 375e. Pour sa première entrevue de fond depuis sa nomination, le nouveau patron de la Société a amené François Cardinal visiter les trois «sommets» du Vieux-Port: la tour des Convoyeurs, la tour de l'Horloge et le fameux Silo no 5. Suivez le guide.

Du haut du silo no 5, on a l'impression d'être sur la proue du navire Montréal. La vue sur la métropole est complète. On y voit autant les Montérégiennes, Habitat 67 et la Biosphère que le centre-ville, le mont Royal et le Vieux-Port.

Ce qui frappe au loin, c'est combien Montréal a changé ces dernières années, combien le centre des affaires se développe, combien le Vieux-Montréal est devenu un quartier grouillant, combien la ville jouit d'une verdure luxuriante.

Mais quand on regarde l'environnement immédiat, le Vieux-Port, ses quais et ses hangars, la vue est un peu moins spectaculaire. Ce qui frappe alors, c'est combien cet espace a vieilli depuis son réaménagement de 1992, combien il accuse son âge.

Le secteur n'est pas vilain en soi. On y retrouve de beaux espaces verts, des institutions dynamiques et toutes sortes d'activités. Mais du haut des airs, ce que l'on remarque, c'est surtout le potentiel inexploité des berges du Saint-Laurent.

À l'approche du 375e anniversaire de Montréal, on s'aperçoit en effet que le Vieux-Port a gardé l'aspect qu'il avait lors du 350e anniversaire, avec ses qualités, mais aussi ses énormes trous. Le quai de la Pointe-du-Moulin et l'espace vert situé devant le silo sont abandonnés et coupés de tout accès. Les quais Alexandra et King-Edward ne sont essentiellement que de gros stationnements. Le hangar 16 rouille et se cherche désespérément une vocation. La promenade qui s'étire jusqu'à la tour de l'Horloge est encore une large rue conçue pour les autos.

Et il y a le fameux silo no 5, toujours aussi vide qu'à l'époque. Que plusieurs voudraient démolir pour retrouver une vue sur le fleuve... qui n'existe que dans leurs rêves, constate-t-on d'en haut, le fleuve étant caché par le quai Bickerdike, la péninsule de la Cité du Havre et le complexe Tropiques Nord.

Je me tourne vers mon guide, le nouveau patron de la Société du Vieux-Port, Daniel Dorey, pour lui faire part de ma déception. Je lui dis que ce secteur est certes intéressant, mais qu'il a le potentiel d'être tellement plus que ce qu'il est.

Sa réponse ne se fait pas attendre: «Je suis tout à fait d'accord...»

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La tour des Convoyeurs est moins connue que le silo, mais elle est tout aussi abandonnée, trônant à côté du Centre des sciences comme si elle avait été oubliée là. Tout autour, les touristes et les Montréalais se promènent, vont au cinéma Imax, à la maison hantée Peur dépôt, aux boutiques du quai Jacques-Cartier.

Il y a de la vie, ici, précisément ce que la nouvelle direction du Vieux-Port s'est affairée à développer depuis la prise de contrôle de la Société immobilière du Canada, il y a deux ans. La première étape d'un plan plus vaste qui se trame en coulisse.

La firme Acertys a en effet été embauchée ces derniers mois pour mettre la table pour une vaste consultation qui sera lancée, officiellement, après les Fêtes. Une consultation qui visera l'élaboration d'un vaste plan de réaménagement du Vieux-Port, incluant le silo no 5.

«Quelques rencontres individuelles ont eu lieu ces derniers mois, un comité de sages sera mis sur pied, puis il y aura des rencontres de groupe, explique Daniel Dorey. On veut savoir ce que les Montréalais veulent faire du Vieux-Port. On veut leurs idées, leurs photos, leurs dessins.

«Mon désir, mon rêve, c'est de dévoiler un projet porteur de réaménagement pour 2017», ajoute-t-il. Pas de tours ou de complexes résidentiels, plutôt un projet qui donnerait un nouvel élan au Vieux-Port tout en consolidant son rôle récréotouristique.

Je réponds que c'est loin quand on sait tous les retards qu'a pris le dossier de rénovation du silo no 5. On promettait déjà une consultation l'an dernier à ce sujet...

«Que voulez-vous que je vous dise? J'ai été nommé en juillet 2013. Et pour avoir lu les 15 rapports sur le silo, j'ai bien compris que tout cela était plus facile à dire qu'à faire. En deux ans, je pense qu'on peut réussir à développer un projet vaste qui a suscité l'adhésion et l'enthousiasme.»

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Du haut de la tour de l'Horloge, l'impression d'être au milieu du fleuve est encore plus saisissante. On voit le silo au loin, on voit la tour des Convoyeurs, mais on voit surtout l'eau qui nous entoure.

Quel bel endroit pour aménager le bain portuaire que propose le chef de Projet Montréal, Richard Bergeron! Une piscine au fil de l'eau, en quelque sorte, qui donnerait aux visiteurs de la plage de l'horloge l'accès à l'eau qui leur manque cruellement.

«Voilà précisément le genre de projets dont on veut entendre parler, lance Daniel Dorey. On a d'ailleurs rencontré M. Bergeron, comme on a rencontré plein de monde qui nous approche régulièrement avec des projets emballants.»

Vincent Léger est un de ceux-là. Montréalais aux mille idées, il propose de transformer la tour des Convoyeurs en un centre récréotouristique. On retrouverait au sommet un observatoire. D'un côté s'y grefferaient des installations de «décalade» (descente de parois verticales) et de l'autre, un plongeon de haut vol qui pourrait accueillir des compétitions internationales. À la base de la tour, un camping urbain serait aménagé.

Autre idée, cette fois pour le silo no 5: garder l'idée d'un entrepôt de grains, mais des grains d'un autre genre, disons. L'entreprise Vert.com propose de transformer l'immeuble en centre de stockage de mégabits, façon de profiter de sa solidité et de lui redonner une pertinence.

«Des projets, il y en a plusieurs, reconnaît Daniel Dorey avec enthousiasme. C'est pour ça qu'on veut demander aux Montréalais comment ils imaginent l'évolution du Vieux-Port.»

Un important secteur de Montréal qui a en effet grand besoin d'un réaménagement, sans oublier son navire amiral, le silo no 5.

Trois projets pour trois sites

Silo no 5

L'entreprise Vert.com aimerait transformer le silo no 5 en immense entrepôt vertical de serveurs informatiques. Baptisé Siloctet, le projet consisterait à convertir les anciens cylindres du silo en centres de données.

Au coût de 80 millions, l'entrepôt nouveau genre ferait le bonheur des entreprises européennes de commerces électroniques, selon le patron de Vert.com, Éric Mateu-Huon. Les milliers de serveurs à haute efficacité énergétique qu'on y retrouverait leur permettraient d'avoir «un site miroir» à proximité de New York, ce qui retrancherait de précieuses microsecondes lors de chaque transaction en ligne de leurs clients.

L'idée serait de séparer en deux chacun des 44 silos afin d'y installer 88 minicentres de données. Cela pourrait créer jusqu'à 300 emplois à Montréal, voire plus, car l'intention de Vert.com est de développer le concept ailleurs par la suite.

Tour des Convoyeurs

La tour des Convoyeurs n'est plus utilisée depuis 30 ans, comme le montre un simple coup d'oeil: l'endroit est rouillé, décrépit. Cela n'empêche pas le consultant en tourisme durable Vincent Léger d'y voir un formidable potentiel.

Il aimerait, avec son équipe du Borealis Ecodesign Lab, développer un concept de pôle récréotouristique à un coût de 10 à 15 millions.

On retrouverait au sommet un observatoire de 360 degrés qui offrirait une vue superbe sur le fleuve. On pourrait redescendre en rappel, en faisant de la «décalade». Ou simplement en sautant dans l'eau, car un plongeon de haut vol serait installé pour des activités ludiques ou des compétitions. À la base, un camping urbain accueillerait les citoyens pour la nuit.

«Cela permettrait d'ouvrir une fenêtre peu coûteuse sur leur fleuve, tout en réutilisant un élément du patrimoine de Montréal», croit M. Léger.

Tour de l'Horloge

Montréal a une plage urbaine... mais pas d'accès à l'eau. Pour remédier à ce problème, Projet Montréal propose l'aménagement d'un bain portuaire à proximité de la tour de l'Horloge.

Prenant exemple sur la ville de Copenhague et son bain portuaire «Islands Brygge», Richard Bergeron aimerait que les Montréalais puissent profiter de la qualité de l'eau de leur fleuve. Il propose ainsi l'aménagement d'installations flottantes dans le fleuve, un projet de 850 000$, soit nettement moins cher que la construction d'une piscine municipale extérieure (5 à 8,5 millions).

«Ce projet serait non seulement bénéfique pour la population montréalaise, mais il aurait le potentiel de devenir un emblème touristique comme ce fut le cas à Copenhague, Berlin et Sydney, où l'on a adopté ce type d'infrastructure», indique M. Bergeron.