On tue la une! L'administration Coderre annoncera cet après-midi qu'elle compte faire entrer Montréal dans le 21e siècle. Enfin...

Deux membres du comité exécutif dévoileront les détails du futur «Centre de gestion de la mobilité urbaine», une sorte de tour de contrôle d'où sera éventuellement régulé le trafic routier de la métropole.

On y retrouvera notamment un mur vidéo, ai-je appris, un système de gestion de caméras disséminées partout en ville et des opérateurs pouvant contrôler manuellement ce qui se passe aux quatre coins de l'île.

Un centre très sophistiqué, donc, qui assurera une plus grande fluidité des déplacements. Un centre haute technologie qui permettra de mieux coordonner les chantiers et les services d'urgence. Un centre comme on en trouve à Boston depuis... 25 ans.

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La première chose qui étonne avec le Traffic Management Center de Boston, c'est son accessibilité.

On entre d'abord avec une facilité déconcertante à l'hôtel de ville, un bâtiment de béton brutaliste qui plaît aux amoureux de Le Corbusier, mais moins aux employés qui y travaillent. On monte au 7e étage. Puis on tombe sur une porte noire qui ne cache pas son jeu: TRAFFIC MANAGEMENT CENTER-ROOM 701.

Lorsqu'on ouvre, on pénètre dans ce qui ressemble à une salle de travail de chantier. Partout, des plans, des panneaux de signalisation routière, des gobelets de café vides. Quelques ingénieurs devant leur ordi. Puis au fond, une petite pièce fermée, sorte d'aquarium dans lequel semble flotter un nombre impressionnant de petites télés.

À l'intérieur, deux employés, Devon et Alfredo, très cool devant les écrans. Ils me serrent la main puis reprennent le contrôle des opérations, l'un avec son joystick, l'autre avec sa souris.

Pas de stress. Et pourtant, ces deux hommes ont la responsabilité de la totalité du réseau routier de la ville. En temps très, très réel...

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Le Traffic Management Center de Boston est un curieux endroit, un peu vieillot, mais très techno. On se croirait dans une scène de Star Trek, sans trop savoir si c'est l'original ou la nouvelle génération.

Devant Devon et Alfredo, on retrouve une première série d'écrans posés sur le bureau. Une bonne douzaine, des vieux et des neufs. Autant de souris. Six claviers. Mais aussi une vieille radio CB et une cassette VHS...

Sur le mur, on compte huit grands écrans, dont plusieurs découpés en neuf petits écrans. À leur droite, trois autres télés. Et à leur gauche, cinq écrans supplémentaires au centre desquels trône une horloge Simplex, vintage et jaunie.

De leurs postes de travail, les deux hommes contrôlent pas moins de 551 intersections de Boston vers lesquelles sont dirigées autant de caméras à faible définition. Les feux de circulation sont automatiques, mais dès qu'un problème survient, Devon et Alfredo n'ont qu'à lever le doigt pour faire passer n'importe quel feu du rouge au vert. Ce qu'ils ont fait à plus de 44 000 reprises l'an dernier!

Boston n'est pas sans trafic, loin de là, mais on imagine mal ce qu'il serait sans caméras...

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«On a débuté ce genre d'interventions aux intersections au début des années 90, explique James E. Gillooly, le patron du département des transports de Boston. Mais cela a surtout été utile avec les grands chantiers qui ont suivi. Bien franchement, je ne sais pas comment on aurait fait sans le centre!»

Pour le commissaire Gillooly, les caméras servent d'abord à assurer la fluidité de la circulation. Un accident survient? La police est envoyée et les feux de circulation sont ajustés. Un entrepreneur amorce son chantier en pleine heure de pointe sans en avoir la permission? Les forces de l'ordre lui rendent rapidement visite pour rétablir la situation. Le déneigement est déficient dans un secteur donné? On renvoie aussitôt les souffleuses.

Mais le centre, explique James Gillooly, a aussi une fonction stratégique lors des grands travaux, comme le Big Dig, cet enfouissement pharaonique d'une autoroute qui coupait la ville en deux jusqu'au début des années 2000.

«Lorsqu'on planifie des travaux, tous les partenaires (la Ville, la police, la société de transport en commun, etc.) se réunissent dans le centre pour déterminer ce qu'ils feront pour atténuer leurs impacts. Puis une fois le chantier lancé, ils reviennent dans le centre et y restent plusieurs jours afin d'observer ce qui se passe en temps réel et de faire les ajustements nécessaires.»

«Je vous le répète, je ne sais pas comment on pourrait s'en passer.»

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Est-ce que l'administration Coderre ira aussi loin que Boston? Est-ce qu'elle réussira à aller aussi loin? Je ne sais pas. Des voix s'élèveront peut-être pour décrier ce contrôle un peu, disons, orwellien des déplacements.

Mais quand on voit les élus se suivre à chaque rentrée pour répéter ce que leurs prédécesseurs ont répété avant eux, quand on les voit tous promettre qu'eux, enfin, vont se coordonner et prendre au sérieux les problèmes de circulation, on se dit qu'un centre aussi futuriste devrait déjà être en activité. Depuis une bonne vingtaine d'années.