À l'époque du « selfie », le proverbe « charité bien ordonnée commence par soi-même » n'a jamais été aussi étrangement illustré que par la folie mondiale autour du « Ice Bucket Challenge ».

À moins d'avoir été caché au fond des bois cette semaine, il était impossible d'éviter ce phénomène viral qui consiste à se verser un seau d'eau glacée sur la tête devant la caméra, au profit des organismes venant en aide aux victimes de la sclérose latérale amyotrophique (SLA), et à désigner d'autres personnes pour relever le défi. Si elles refusent, elles doivent donner 100 $ à la cause.

La vague a vraiment commencé à déferler quand le fondateur de Facebook, Mark Zukerberg, a diffusé sa performance et invité Bill Gates à en faire autant. Depuis, les vedettes de la planète ne cessent de s'asperger à qui mieux mieux, faisant la joie ou l'exaspération des internautes inondés de vidéos. Car il n'y a pas grand risque à participer au Ice Bucket Challenge, sinon que d'avoir l'air ringard lorsqu'on y arrive trop tard. Les gens sont si pressés d'être les premiers blasés par tout engouement un peu trop moutonnier...

Concours de « wet t-shirt » de luxe pour les uns, détournement salutaire du narcissisme pour les autres, le phénomène a ses détracteurs comme ses défenseurs. Il révèle plus particulièrement que les nobles causes sont soumises, elles aussi, aux lois souvent irrationnelles du marché, faites de désir, de pulsion et d'émulation. Les gens ne sont pas soudainement touchés par la maladie de Lou Gehrig, mais par l'emballement collectif dans la façon d'attirer l'attention sur cette maladie méconnue.

L'influence derrière tout cela n'est pas très différente d'une récente mode du web, stupide, où l'on a vu des jeunes se faire flamber pour rien, mais elle mène au moins à une augmentation des dons pour la SLA.

Parce que ça fonctionne. Aux États-Unis, l'association ALS, qui ne pouvait rêver d'une meilleure campagne, a reçu plus de 30 millions en dons, comparativement à 1,9 million l'an dernier. Au Québec, les dons ont triplé pour atteindre plus de 150 000 $.

Le public est sursollicité par d'innombrables causes, toutes bonnes, certaines plus populaires ou prioritaires que d'autres selon les sensibilités - le cancer, par exemple. La compétition est impitoyable entre les organismes pour obtenir des dons ; c'est pourquoi ils s'arrachent les vedettes sans qui ils sombrent dans l'indifférence médiatique.

Quel sera le prochain phénomène viral caritatif ? Aucune idée, mais on sait qu'il y en aura d'autres. Car il faut noter à quel point soutenir une cause de nos jours exige une implication toujours plus originale et ostentatoire. Parcourir des kilomètres en vélo, se raser la tête, poser nu, se laisser pousser la moustache, etc. De toute évidence, pour faire parler de sa cause, il faut de plus en plus se mouiller... au risque d'oublier que la charité, à l'origine, signifie un amour des autres, pas un concours de popularité.