Je m'ennuie du laitier qui déposait les pintes sur le paillasson. Vous comprendrez donc que j'ai un pincement au coeur en pensant à la disparition des facteurs, une autre maille du tissu social qui saute...

Mais bon, si j'ai un problème avec la fin de la livraison du courrier à domicile, ça n'a rien à voir avec la nostalgie. Plutôt avec la manière: Postes Canada se moque de nous.

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Depuis qu'elle a annoncé qu'elle abandonnait son principal mandat en décembre dernier, elle répète qu'elle «partage» tous les renseignements utiles, qu'elle «collabore» avec ses «partenaires» et qu'elle «consulte» les Canadiens.

À d'autres! On ne compte plus les organisations qui affirment ne pas avoir été consultées. On met les villes et arrondissements devant un fait accompli. On avance dans la plus totale improvisation, comme l'a montré cette idée loufoque du billet de médecin obligatoire.

Et la consultation des Canadiens qu'on évoque sur toutes les tribunes pour donner de la légitimité à cette révolution? Elle est complètement bidon.

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Je suis de ceux qui perdront le service à domicile le printemps prochain. Le facteur a donc déposé dans ma boîte aux lettres le «sondage» que Postes Canada présente comme une vaste «conversation» avec les citoyens.

Une vraie farce.

On nous permet de faire un court et un long sondage si on a «plus de temps». Dans le court, on nous interroge brièvement sur nos préoccupations... mais seulement après avoir mis la table avec trois questions qui ne servent qu'à nous convaincre du bien-fondé du changement.

La première donne le ton: «Postes Canada livre le courrier dans des boîtes postales communautaires [...] depuis une trentaine d'années partout au pays. Saviez-vous que 10 millions de ménages reçoivent déjà leur courrier par un mode de livraison centralisé tel qu'une boîte postale communautaire?»

Une question qui, d'entrée de jeu, ne sert qu'à persuader le répondant qu'on ne fait qu'étendre une pratique «déjà» répandue, même si la plupart des secteurs dotés de boîtes communautaires n'ont rien à voir avec les zones densifiées qui les accueilleront l'an prochain.

Quant au long sondage, il pose toutes sortes de questions pour lesquelles les réponses vont souvent de soi.

«Je serais plus à l'aise par rapport aux boîtes communautaires si je savais qu'elles sont installées à une distance sécuritaire de la route?» L'autre option étant une distance qui n'est pas sécuritaire?

«Je serais plus à l'aise si je savais qu'elles sont dotées de dispositifs de protection contre le vol?» Et si je réponds non, on installera des boîtes qui ne sont pas protégées contre le vol?

«Je serais plus à l'aise si je savais qu'elles sont situées à des endroits précis qui ont été choisis en consultation avec des urbanistes locaux qui connaissent bien leur communauté?» L'inverse étant des endroits vagues choisis en consultant Google Maps à partir d'Ottawa?

Manifestement, on ne fait pas dans l'enquête d'opinion, mais bien dans le conditionnement de l'opinion. On cherche à faire la promotion des boîtes communautaires bien plus qu'à cerner ce qu'en pensent les Canadiens.

Vrai, il y a une section plus concrète où l'on demande véritablement l'avis des répondants. On leur pose alors sept questions sur... le dessin que l'on retrouvera sur le côté des boîtes postales! Pas un mot sur l'horreur que constituent les boîtes, mais on prend la peine de proposer trois revêtements possibles avec différents coloris!

Et pour ceux qui souhaiteraient participer à «une conversation plus approfondie», ils sont invités à la fin du sondage court à visiter ce site: «Sorry Page Not Found - 404».

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Je sais bien que la levée de boucliers était prévisible. Il y a là une résistance normale au changement, surtout qu'il s'agit d'un service qu'on tenait pour acquis. Mais l'improvisation avec laquelle cette révolution est menée a transformé une objection attendue en un barrage quasi unanime. Pas contre la décision, encore une fois, mais contre la manière.

J'ai fait le tour d'une bonne douzaine d'organisations, de villes et d'arrondissements. Tous m'ont dit avoir eu une rencontre ou un appel de Postes Canada, mais aucun ne s'est senti «consulté».

«On nous a simplement mis devant un fait accompli», soutient la FADOQ. «On ne nous a pas demandé notre avis», a dit l'Association médicale canadienne. «Nous n'avons pas été impliqués», a lancé le maire de Pierrefonds. «Nous n'avons pas été consultés», a ajouté le Commissariat à la protection de la vie privée.

Des propos qui s'ajoutent à ceux du maire Denis Coderre, qui estime que Postes Canada «n'a rien compris» et n'a pas mis la métropole au courant de ce qui se trame.

Ce n'est pas là une réaction nostalgique, on le voit bien, mais une désapprobation généralisée à l'endroit d'une organisation qui mène un dossier délicat et complexe comme s'il s'agissait d'une vulgaire lettre à la poste...