Si les vacances riment souvent avec dépenses, elles peuvent cependant servir à régler une dette trop souvent négligée: celle du sommeil.

Dormir est parfois associé à une perte de temps dans un monde compétitif, alors qu'il s'agit d'une récupération vitale pour notre organisme, et même pour notre entourage, si l'on pense à la campagne de prévention de la Société de l'assurance automobile du Québec qui met l'accent sur les dangers de la fatigue au volant, responsable de 21% des accidents mortels. La campagne de la SAAQ cible d'ailleurs la saison estivale, parce que les conducteurs font plus de kilomètres pendant leurs vacances, souvent au début, alors qu'ils sont fatigués, pressés qu'ils sont d'aller se reposer...

Or, s'il est facile de mesurer le taux d'alcoolémie d'un chauffeur, il en va autrement de la fatigue. Quelle est notre part de responsabilité dans cette fatigue, sinon que de la reconnaître? «Les gens sous-estiment leur fatigue et surestiment leur capacité à rester réveillés», résume Gino Desrosiers de la SAAQ.

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Voilà qui rejoint en quelque sorte les propos de Jonathan Crary, professeur à l'Université Columbia, dans un essai qui vient d'être traduit en français: 24/7, le capitalisme à l'assaut du sommeil. Nous estimons grandement l'état de veille et déprécions le sommeil, un «truc de losers», écrit-il.

Au contraire, Crary fait de l'acte de dormir l'une des dernières résistances dans un monde ouvert 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Il nous apprend qu'aujourd'hui, l'adulte américain moyen dort six heures et demie par nuit, soit deux heures de moins que la génération précédente, et qu'au début du XXe siècle, on dormait en moyenne 10 heures...

Dormir semble un affront au mode de vie «en continu», dans lequel nous trouvons certes des avantages, mais en oubliant que le 24/7 que nous exigeons se paie en retour d'une disponibilité de tous les instants, avec les troubles que cela amène. Pensons au phénomène baptisé «FOMO» - «Fear of missing out», la peur de rater quelque chose - que Crary aborde en soulignant que les cas de gens qui se lèvent la nuit pour vérifier leurs courriels sont en forte hausse. Le stress, l'insomnie, le déficit d'attention sont autant de maux associés à cette surexcitation constante, dont on n'a pas fini de mesurer les effets à long terme.

C'est inutile, un dormeur. Il n'a aucun intérêt, sauf pour les vendeurs de matelas. Crary rappelle cette anecdote de la fin des années 90 à propos du PDG de la société Google qui n'avait qu'un an d'existence: «Eric Schmidt déclarait que le XXIe siècle serait synonyme de ce qu'il appelait «l'économie de l'attention», et que les firmes dominantes à l'échelle mondiale seraient celles qui parviendraient à maximiser le nombre de «globes oculaires» qu'elles parviendraient

à capter et à contrôler en permanence.»

Finalement, si notre état de veille rapporte de l'argent, notre sommeil vaut peut-être, à un niveau insoupçonné, de l'or.