Mon fils ne s'ennuie pas, cet été. Il était dans un formidable camp de vacances loin dans le bois au cours des derniers jours, il aura bientôt droit à un voyage à l'étranger, puis ce seront les camps de jour qui lui permettront de vivre toutes sortes d'expérience, de rencontrer plein de monde, de s'initier à une foule d'activités plus excitantes les unes que les autres.

Et pourtant, je culpabilise.

Je culpabilise en me remémorant les étés de mon enfance, qui se déroulaient sous le signe de la débrouille, de l'autonomie et du temps libre. Des étés pendant lesquels je profitais de longs mois oisifs sous le soleil, sans horaire ni activités organisées, laissé à mon sort, pour ne pas dire abandonné à mon sort.

Cette enfance, au fond, je l'ai passée comme toutes les générations qui m'ont précédé l'ont passée, en flânant, en traînant, en vadrouillant, en niaisant. J'avais bien une petite semaine de camp scout à l'occasion, mais le plus clair de la chaude saison, je le passais à chiller avant que le mot n'entre dans le vocabulaire des enfants.

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Je n'ai pas une mémoire infaillible qui me permet de me rappeler chaque petit moment de bonheur et de malheur de mon enfance.

Je ne me souviens pas de l'été 1982, sinon vaguement du match des étoiles disputé au Stade olympique. Je ne me souviens pas de la couleur de mon premier vélo, même si j'ai un souvenir ému de son siège banane brun constellé de petits carrés brillants. Je ne me souviens pas du nom de mon voisin immédiat, mais très bien de ce qui nous attendait quand on rentrait chez lui à l'improviste: des biscuits soda au Cheez Whiz couronnés d'une tranche de cornichon sucré.

Je ne me rappelle donc pas un été en particulier avec tous ses rebondissements, mais je me souviens d'éléments épars qui, ensemble, constituent un superbe souvenir de ces mois d'euphorie qui suivaient la fin des classes.

Au moment où la cloche sonnait pour la dernière fois à l'école, tout devenait soudainement possible grâce à cette absence totale d'agenda, d'échéances et de supervision parentale...

Je me souviens de la course au lever du lit pour manger mon déjeuner à toute vitesse et être le premier à frapper à la porte des voisins, une moustache de lait sous le nez.

Je me souviens de ce bois situé derrière la maison, aujourd'hui remplacé par des lotissements résidentiels, qui nous attirait et nous effrayait à la fois en raison du «fou» qui y rôdait avec sa hache (en tout cas, c'est ce que mon ami disait).

Je me souviens de ce restant de cabane dans les arbres dont on ne connaissait ni l'origine ni la solidité, où on buvait des «mini-sips» orange en se racontant des blagues sanglantes et, parfois, cochonnes.

Je me souviens d'avoir foncé à toute allure dans une «boîte à malle» verte avec mon CCM et d'y avoir laissé une bonne partie du maquillage que j'avais dans le visage, sans me rappeler pourquoi j'avais du maquillage dans le visage.

Je me souviens de m'être fait chicaner parce que je lançais des «ballounes» d'eau trop proche du transistor d'un voisin, d'où sortait la voix de Jacques Doucet. Tous les jours, tout le temps, me semblait.

Je me souviens du terrain vague qui nous accueillait après un mauvais coup, des montagnes de déchets de construction et de clous rouillés, mais je dois avouer n'avoir aucun souvenir d'une discussion parentale sur les dangers du tétanos.

Je me souviens de ces planches qu'on rapportait proche de la maison et, surtout, des «jumps de fous» qu'elles nous permettaient de faire avec nos BMX. Sans casque.

Je me souviens des games de hockey-bottines dans la rue, des mits de baseball qui servaient à délimiter le but et des chicanes qui s'ensuivaient pour décider si la balle avait accroché le «poteau».

Je me souviens de la dureté de la balle accrochée à une longue corde, elle-même attachée à une brique, que j'avais reçue en plein visage lors d'une partie de «tennis». Ma raquette en bois signée John McEnroe n'avait pu me protéger.

Je me souviens du bruit que faisaient nos «béciks» lorsqu'on attachait des cartes de baseball à la fourche à l'aide de pinces à linge. Celle d'Andre Dawson faisait plus de bruit que les autres.

Je me souviens que je jouais «à la balle» dans le cul-de-sac en me prenant pour Tim Raines, même si j'évitais de glisser au but, un carré dessiné à la craie sur le bitume.

Bref, je me souviens de cette autonomie qui me rendait entièrement libre de mes mouvements, chaque été, coupable de mes mauvais coups et responsable de mes bobos. Pour le meilleur et, aussi, pour le pire.

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C'était une autre époque, évidemment. Une époque où l'on ne mettait pas de crème solaire, où les parents fumaient dans l'auto, où l'on utilisait des expressions comme «béciks», «mitt de baseball», «biscuit soda» et «boîte à malle»...

Une époque dont je suis nostalgique, évidemment, parce que les parents ne se sentaient pas obligés de vrombir constamment au-dessus de leurs rejetons, de les empêcher de faire quoi que ce soit qui les éloigne de leur zone de confort, d'organiser constamment leur agenda et leur été.

Mais je peux bien me rouler dans mes souvenirs, je peux bien culpabiliser à l'extrême en voyant les étés structurés de mon propre enfant, mais dans le fond, je n'y peux pas grand-chose.

Mon fils serait-il libre de son temps et de ses mouvements tout l'été qu'il n'en profiterait pas vraiment. Ses voisins sont tous au camp...