Le gouvernement du Québec ressemble à un propriétaire foncier au-dessus de ses affaires. Il doit vendre, mais il n'est pas pressé. Il doit mettre sur le marché ses immeubles en trop, mais il ne trouve pas le temps.

Clairement, les beaux gros édifices qu'il se fait construire à fort coût l'intéressent plus que les vieux bâtiments décrépits dont il doit se départir...

C'est ce qu'on observe avec le CHUM et le CUSM, de beaux gros hôpitaux qui commenceront bientôt à se remplir... et qui videront par le fait même un paquet d'autres hôpitaux au centre-ville.

Imaginez: on prévoit que les travaux sur le site Glen du CUSM seront terminés l'automne prochain... et on commence à peine à prendre au sérieux le sort du Royal-Victoria qui sera, à même date l'an prochain, complètement vide!

Et après ça, sur une période d'à peine deux ans, ce sont les pavillons de l'Hôpital Notre-Dame, de l'Institut thoracique, de l'Hôpital de Montréal pour enfants et, enfin, la totalité de l'Hôtel-Dieu qui subiront le même sort.

Et on ne sait toujours pas ce qu'on va mettre dans un seul local d'un seul pavillon d'un seul de ces établissements.

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On ne parle plus de laxisme, mais de négligence. Car peu importe ce qu'on fait aujourd'hui, on a tellement perdu de temps qu'on n'aura d'autre choix que de barricader l'immense Royal-Victoria. En attendant.

Et qu'arrive-t-il habituellement à Montréal quand on bouche les portes et les fenêtres «en attendant», comme on l'a fait pour la Bibliothèque Saint-Sulpice et le Silo no 5? Au mieux, on attend un projet pendant des années, comme pour l'îlot Voyageur dont la construction a été interrompue en 2007; au pis, on laisse l'immeuble dépérir jusqu'à ce qu'il soit trop tard, comme nous le rappelle le tas de ruines qu'on appelait maison Redpath.

«Dès lors qu'un édifice est vide et sans usage, souligne le rapport sur les hôpitaux excédentaires dévoilé la semaine dernière, il s'engage sur une trajectoire périlleuse pouvant le réduire à l'état de fantôme urbain menacé de périls, allant du squat illégal à l'incendie criminel.»

Et on ne parle pas d'une bibliothèque, cette fois, mais bien d'un complexe d'une douzaine de pavillons qui s'étendent sur 120 000 mètres carrés. En plein mont Royal.

«Des édifices vides en attente d'une nouvelle affectation risquent non seulement de se dégrader, ajoute le rapport, mais ils créent dans le tissu urbain un vide, une discontinuité, un espace mort qui est préjudiciable à la qualité de vie du quartier, sinon même à la sécurité de l'entourage.»

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Je devrais être en partie rassuré, le rapport d'experts indépendants qu'a maintenant en main le gouvernement tire la sonnette d'alarme, parle d'une «situation d'urgence», souligne la nécessité d'une «action rapide et résolue».

Mais non, je ne suis pas rassuré. Car il suffit de lire le rapport pour voir que, dans les faits, on met davantage l'accent sur le besoin d'exemplarité des projets de reconversion que sur l'importance d'agir rapidement.

On recommande ainsi la nomination d'un délégué gouvernemental, la mise au point des cadres financiers, l'élaboration de plans directeurs, la tenue de processus de planification détaillée, la multiplication des étapes d'analyse et de validation, etc.

Autant de choses nécessaires quand on entreprend de vastes projets qu'on voit venir, comme la reconversion de la gare de triage d'Outremont, le réaménagement de la Sainte-Catherine, voire la transformation de l'Hôtel-Dieu, qui ne se videra pas avant 2016.

Il y a en effet, pour le plus ancien hôpital de la ville, plusieurs projets préliminaires sur la table, de nombreux partenaires et intéressés, des visions différentes de ce qu'on devrait faire de cet immeuble patrimonial. D'où un nécessaire travail de concertation en amont.

Mais pour le Royal-Victoria qui sera libre dans 10 mois, qui possède deux fois la superficie de l'Hôtel-Dieu, il n'y a qu'UN projet, UN intéressé, UNE vision des lieux.

Seule l'Université McGill souhaite en faire quelque chose, un nouveau campus plus précisément, où l'on retrouverait une importante faculté dans des locaux rénovés ainsi que des fonctions connexes tels des instituts internationaux.

Au risque de commettre un crime de lèse-patrimoine, il me semble qu'on n'en est plus à la «concertation des parties prenantes», mais bien à l'étude de faisabilité, que le gouvernement devrait lancer dès septembre, et aux consultations, que McGill pourrait organiser pendant que l'on peaufine le montage financier (il est question d'une facture de 850 millions partagée à parts égales entre l'université, Québec et Ottawa).

Le projet de McGill a ses risques et ses limites, certes, mais il n'en demeure pas moins l'unique projet sur la table. Un projet qui évite l'écueil de l'acceptabilité sociale, qui s'arrime à merveille avec le campus contigu et qui, surtout, empêche la privatisation et le lotissement d'un bien public inestimable.

Il est minuit moins une. On est moins à se demander si c'est un bon projet qu'à se demander comment mener ce projet à terme.