Je devrais sourire. Cela fait trois ans que je répète que la journée En ville sans ma voiture a fait son temps, et voilà que l'Agence métropolitaine de transport annonce qu'elle abandonne l'événement.

Mais non, je ne souris pas.

Au départ, l'idée d'une journée subversive organisée dans un périmètre du centre-ville était fort intéressante. Montréal avait toutes les raisons du monde d'emboîter le pas aux villes européennes, en 2003.

On parlait alors d'un événement «revendicateur» qui avait pour but de bousculer les habitudes, de faire réfléchir, d'inciter les navetteurs à essayer le transport en commun ne serait-ce qu'une fois.

Une initiative heureuse qui avait clairement fait mouche, à l'époque. Les commerçants étaient furax! Les élus de Ville-Marie tout autant! Si bien qu'à quelques jours de l'événement, coup de théâtre, le conseil d'arrondissement décidait à l'unanimité d'en bloquer la tenue sur la rue Sainte-Catherine. Sans succès, finalement.

L'événement avait ainsi atteint son objectif, avant même d'avoir lieu: faire hurler pour sensibiliser...

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Au cours des années qui ont suivi, les hauts cris ont repris, mais avec de moins en moins d'intensité. La journée sans auto a tranquillement pris racine, si bien qu'au bout du quatrième ou cinquième événement, elle faisait déjà partie des meubles.

C'était le début de la fin...

L'événement «revendicateur» des débuts s'était muté en un événement tout en langueur qui ne dérangeait plus personne, aidé par l'AMT qui n'a jamais cru bon élargir le périmètre d'un centimètre ou permettre aux heures de fermeture d'empiéter sur l'heure de pointe.

Le travailleur du centre-ville pouvait ainsi s'engouffrer dans son stationnement souterrain à 8h45, passer sa journée dans sa tour, puis repartir à 17h... sans jamais réaliser qu'on avait tenté d'infléchir ses habitudes!

Il commençait donc à être évident, dès 2010, que l'énergie exigée des fonctionnaires, des experts et des relationnistes pour organiser la journée, trouver des partenaires financiers et la réaliser dépassait les gains escomptés.

Puis le coup de grâce est venu en 2012. Pour «célébrer» la 10e présentation de l'événement, l'AMT avait enfin osé pousser l'audace jusqu'à choisir un nouveau périmètre, plus grand... mais dans le Vieux-Port, un secteur où les voitures étaient déjà bannies toute l'année!

Une seule question s'imposait alors: à quoi bon?

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L'AMT a discrètement annoncé, jeudi dernier sur Twitter, qu'elle tirait finalement un trait sur l'aventure. «Parmi les raisons qui nous ont poussés à prendre cette décision, précise-t-elle, le contexte de ressources financières restreintes et d'effectifs limités a pesé lourd.»

Ben oui. Un événement qui grugeait moins de 0,1% du budget de l'AMT est abandonné pour des questions financières...

Disons-le, la véritable raison de l'abandon de cet événement fut l'incapacité de le renouveler, l'essoufflement qui s'en est suivi, la lente transformation de ce qui se voulait un acte d'«urbanisme tactique» en une foire bon enfant sans grande pertinence.

La preuve en est l'unique véritable ajout qui s'est fait ces dernières années, le blogue envillesansmavoiture.com, que l'on qualifie de «succès» dans le communiqué de l'Agence publié jeudi.

Il se voulait «un lieu d'échange», une «plateforme» visant «à faire avancer la réflexion sur les moyens mis en place pour valoriser l'utilisation du transport collectif». L'AMT a ainsi publié 206 billets et a récolté un gros total de... 238 commentaires d'internautes. En deux ans.

Pas surprenant qu'un événement qu'on tente de rafraîchir à l'aide d'un virage 2.0 sans âme soit, aujourd'hui, un événement dont on «tire la plogue»...

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Mais fallait-il pour autant tout abandonner?

On le voit bien, les carrés de gazon artificiel avaient fait leur temps, mais cela ne veut pas dire que Montréal n'a plus besoin d'un événement subversif qui remet en question les habitudes des navetteurs. Qui dit motorisation dit forcément sensibilisation.

Plutôt que de reculer en laissant bêtement tomber l'initiative, n'aurait-on pas pu avancer en poussant plus loin l'idée d'une unique journée sans auto par année?

Je pense à une semaine composée d'une journée de gratuité dans les transports en commun et d'une autre où sont offertes 30 minutes de déplacements en BIXI, par exemple.

Je pense à une journée où l'on transforme quelques artères comme Saint-Urbain en autoroutes pédestres et cyclables.

Je pense à des initiatives comme celles imaginées par Bogotá, où le premier jeudi de février, la ville est fermée aux autos (mais pas aux taxis ni aux bus). Plus encore, la capitale colombienne interdit aux voitures, tous les dimanches, l'accès à 120 kilomètres d'artères, ce qui permet à plus d'un million de personnes de jogger, marcher et pédaler chaque semaine.

Lors de la dernière journée En ville sans ma voiture, en septembre dernier, j'avais rencontré l'ancien maire Enrique Peñalosa, qui avait alors qualifié ces initiatives de «véritable reconquête de l'espace public». Il aurait aussi pu parler d'un véritable événement revendicateur...