La scène m'est revenue en tête au cours des derniers jours en lisant les textes de ma consoeur Katia Gagnon sur la désaffection des jeunes Québécois envers l'option souverainiste.

C'était, de mémoire, à Sherbrooke, il y a 10 ans environ, lors d'un rassemblement du Parti québécois. Le chef péquiste d'alors, Bernard Landry, avait apostrophé un collègue chroniqueur dans un couloir d'hôtel, plaidant avec toute la verve qu'on lui sait sur l'«inéluctabilité» de la souveraineté du Québec. Ce sont les jeunes qui vont nous y mener, ils en sont le moteur, disait en substance M. Landry.

Le collègue en question, dont les fils étaient de jeunes adultes, lui avait assez crûment répondu qu'il se trompait, que les «jeunes étaient ailleurs», qu'ils n'«étaient plus là-dedans, la souveraineté».

Je me souviens fort bien de m'être demandé à l'époque si M. Landry croyait vraiment à sa théorie générationnelle ou s'il s'accrochait à son rêve le plus cher...

Quelques années plus tard, lors d'un séjour à Barcelone, j'avais eu une conversation semblable avec un pilier du mouvement souverainiste catalan. Jordi Pujol. Semblable sur le fond (l'intérêt des jeunes pour la souveraineté), mais la conclusion était toutefois différente.

Lucide, et un brin amer, je dois dire, M. Pujol reconnaissait que les jeunes Catalans avaient décroché du projet de souveraineté (en fait, on parlait plus d'autonomie, à l'époque), qu'ils étaient maintenant plus individualistes, portés sur les affaires et le développement du marché européen. M. Pujol admettait, en outre, que les immigrants, nombreux en Catalogne, étaient très peu portés sur la souveraineté de leur terre d'accueil.

Au Québec, on sent depuis quelques années déjà - et plus encore durant la dernière campagne électorale - le décrochage des jeunes devant le projet souverainiste. La radiographie faite par CROP, la lecture des radiographies passées par Claire Durand et les interviews réalisées par ma consoeur Katia Gagnon permettent, pour la première fois, de mettre réellement le doigt sur le bobo.

Le PQ est «squeezé» entre deux blocs: les plus vieux qui décrochent et les plus jeunes qui n'embarquent plus. Trois blocs, si on ajoute les immigrants, majoritairement réfractaires à l'option souverainiste.

Martine Desjardins, ex-leader étudiante et candidate malheureuse du PQ en avril, a raison de dire qu'il ne faut pas mettre d'étiquette sur toute une génération, à partir d'un sondage, à un moment précis de l'histoire.

Les généralisations, en effet, sont trompeuses. Lorsqu'on tente de cataloguer une génération plus jeune que la nôtre, on tombe souvent dans la complaisance ou la nostalgie. Lorsqu'on analyse une génération plus vieille, on pèche souvent par âgisme ou par bravade.

La forte réaction de ce collectif spontané et multipartite de jeunes souverainistes, hier matin à Montréal, démontre toutefois que CROP a vu juste: les jeunes, jadis moteur de l'option souverainiste, s'en sont détournés.

Pourquoi? Les sociologues et politologues en débattront assurément pendant des années, mais il paraît évident que l'exaltation d'un projet neuf, libérateur et enivrant a fait place à la lassitude d'un débat cyclique autour d'une idée rejetée par le peuple.

Les jeunes ont vu leurs parents et leur famille se déchirer sur cette question, et même deux fois plutôt qu'une pour les 35-40 ans. Les 20-30 ans, eux, sont nés dans la foulée de la défaite crève-coeur du OUI, en 1995. Ils ont grandi dans l'ère de l'indifférence tranquille entre Québec et le reste du Canada.

Lucien Bouchard, qui avait pourtant mené les troupes souverainistes aux portes de la victoire, a par la suite déchanté, constatant, notamment, que la loi sur la «clarté» adoptée par le gouvernement Chrétien à Ottawa n'arrivait pas à relancer l'option.

Pendant des années, bien des souverainistes ont espéré (ce que craignaient aussi certains fédéralistes) que le virage à droite imposé au Canada par le gouvernement Harper allait réveiller la ferveur souverainiste, mais après huit ans de ce régime, l'option est au plus bas.

La déconnexion n'est peut-être pas due uniquement à l'option. Le parti qui la porte depuis plus de 40 ans, le PQ, y est aussi peut-être pour quelque chose.

Certaines batailles menées par le PQ expliqueraient-elles aussi, du moins en partie, le décrochage? Ma perception n'a évidemment rien de scientifique, mais j'ai l'impression que le PQ s'est aliéné de nombreux jeunes avec sa charte des valeurs.

Il y a le front identitaire, mais il y a aussi le front économique. Pour bien des électeurs (et pas seulement des jeunes), le PQ n'a plus rien d'un parti social-démocrate. La perspective de voir Pierre Karl Péladeau diriger le PQ n'est sans doute pas la meilleure façon de rassurer ces électeurs.

Et puis, il y a le front environnemental, cher aux plus jeunes. Le feu vert au pétrole d'Anticosti donné par le gouvernement Marois aura été, pour bien des jeunes électeurs, un gros feu rouge dans l'urne.

Comment ramener les jeunes au bercail péquiste? Lourde question pour le prochain chef et les militants. Il n'y a pas de réponses toutes faites à une telle question, mais les péquistes devraient peut-être s'inspirer de leur plus vénérable membre fondateur, celui qui est encore capable de remplir des salles dans les cégeps et les universités, Jacques Parizeau.