Les plus âgés d'entre nous se souviennent de la génuflexion que le fidèle devait faire devant l'autel lorsqu'il entrait dans l'église.

Pour les plus jeunes, rappelons qu'il s'agit de plier la jambe pour mettre le genou droit au sol dans un geste de respect pour le Saint-Sacrement, c'est-à-dire les hosties consacrées, symbolisant la présence du Christ, qui se trouvent dans le ciboire, qui est lui même dans le tabernacle posé sur l'autel.

Cela n'existe pas seulement en religion. La vie politique impose elle aussi des rituels du même genre. Au Québec, il est difficile pour un politicien de parler d'austérité, de révision de programmes, de fiscalité, sans devoir d'abord faire une génuflexion, pour marquer son respect et sa dévotion au modèle québécois, qui repose sur l'autel de la Révolution tranquille.

Une manchette du Devoir de lundi, «Fournier à la défense du modèle québécois», est là pour nous rappeler l'importance de ce rituel. Le ministre Jean-Marc Fournier, un des membres de la garde rapprochée du premier ministre Philippe Couillard, y expliquait que la restructuration de l'État et la révision des programmes ne constituent pas une remise en cause du modèle québécois, mais bien une façon d'assurer sa pérennité, un peu comme les dirigeants chinois qui doivent toujours être capables de montrer que leurs politiques économiques respectent les principes de la révolution maoïste.

On devine que le ministre des Affaires intergouvernementales n'a pas choisi d'entreprendre, de son propre chef, une tournée provinciale pour vanter le modèle québécois, mais qu'on l'a plutôt questionné sur son attachement au modèle et qu'il a dû protester de sa dévotion. Un passage obligé, quand on veut toucher aux façons de faire de l'État québécois.

Ce qui est difficile dans cet exercice, c'est que le dogme est flou. Le modèle québécois n'est jamais clairement défini, sinon par une référence assez générale à la solidarité, à un rôle plus grand de l'État, et derrière, aux réalisations de la Révolution tranquille. Le respect du modèle québécois n'est pas une affaire gauche-droite, mais plutôt un enjeu identitaire.

Parce que la Révolution tranquille incarne le Québec moderne et que l'État québécois est le rempart des francophones du Québec, les remises en cause sont facilement perçues comme une menace. Il devient difficile de toucher ou de changer quelque chose qui est sacré, et cette dévotion au modèle devient une importante source de conservatisme et d'inertie.

On peut d'ailleurs noter à quel point le gouvernement Charest a eu du mal avec ses initiatives qui pouvaient être interprétées comme une remise en cause du dogme, comme la réingénierie, les PPP, les timides incursions de M. Couillard, alors ministre, vers les cliniques privées, ou les échecs de Raymond Bachand sur le dégel des tarifs d'électricité, le ticket modérateur en santé et les droits de scolarité. Rappelons-nous que l'un des arguments massue pour s'opposer aux hausses des droits de scolarité était le fait que les auteurs du rapport Parent, il y a un demi-siècle, voyaient le gel comme une façon d'aller progressivement vers la gratuité.

Cela mène à un paradoxe dans les débats sur les finances publiques. Les mesures paramétriques - coupes de dépenses, gels, non-remplacement du personnel - même brutales, seront plus facilement acceptées que la commission permanente de révision des programmes que propose le gouvernement Couillard. Parce que dans le premier cas, on ne remet rien en cause, et que dans le second, on peut menacer le statu quo.

Ce débat religieux sur l'attachement au modèle est un peu surréaliste. La dévotion est la pire des solutions, car elle pousse à ne rien faire. Le modèle québécois n'a pas besoin de professions de foi, il a plutôt besoin d'oxygène, pour éviter que l'étranglement financier le menace d'une mort à petit feu.