Des «discussions confidentielles» au plus haut niveau ont eu lieu entre Québec et Ottawa, l'hiver dernier, en vue du transfert de l'ensemble des ponts fédéraux sous responsabilité provinciale.

Des lettres échangées par Pauline Marois et Stephen Harper, que j'ai obtenues, révèlent que les deux premiers ministres souhaitaient mettre fin à l'anomalie historique qui donne à Ottawa les pleins pouvoirs sur les principaux ponts montréalais, Champlain, Mercier et Jacques-Cartier.

L'idée avait été lancée par Mme Marois, lors de la rencontre du 3 décembre entre les deux premiers ministres. Elle avait alors proposé d'«ouvrir dès maintenant un chantier spécifique» sur la propriété et le financement du pont Champlain.

Une proposition qui a aussitôt plu à Stephen Harper, révèle une des lettres, signée par ce dernier dans les semaines suivant la rencontre. S'adressant à «Pauline», il s'y dit prêt à «examiner le transfert de la propriété» du pont Champlain... à condition que cela se fasse sans «chantier» formel.

«Je suis d'accord d'aborder la question maintenant, écrit M. Harper, mais je vous suggère plutôt des discussions confidentielles, respectant les considérations liées au processus contractuel en cours qui demande la plus haute discrétion.»

Il est question du transfert éventuel du pont Champlain, une fois achevé évidemment, mais pas que du pont Champlain...

«J'appuie ces discussions, ajoute le premier ministre, dans la mesure où, comme je vous le mentionnais lors de notre rencontre, de telles discussions ne devraient pas seulement porter sur la cession au Québec du nouveau pont une fois en fonction, mais également de tous les ponts fédéraux et des infrastructures routières connexes à Montréal.»

Les infrastructures ne sont pas nommées, mais on devine: les ponts Champlain, Jacques-Cartier et Mercier, probablement l'autoroute Bonaventure, le tunnel de Melocheville et l'autoroute 15 aux abords du pont Champlain.

«Si vous êtes d'accord avec ma proposition, ajoute M. Harper, je demanderai au ministre Lebel d'entamer des discussions avec le ministre des Transports du Québec au moment jugé opportun. Notre gouvernement est heureux de pouvoir continuer de compter sur l'entière collaboration du gouvernement du Québec.»

La réponse adressée à «Stephen», quelques semaines plus tard, est aussi favorable. «Je propose que nos ministres responsables conviennent des paramètres des études touchant cet éventuel transfert. Je vous assure de la collaboration pleine et entière du gouvernement du Québec.»

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Les astres sont alignés pour mettre fin à cette anomalie qu'est la présence, au coeur de la métropole, d'un pont sur lequel le Québec n'a aucune autorité. Un pont qui relie pourtant plusieurs axes stratégiques qui relèvent de Québec.

Reste maintenant à voir si le gouvernement Couillard sera aussi volontaire que le gouvernement Marois à ce chapitre.

Pour l'instant, le cabinet de Robert Poëti refuse de s'engager sur ce terrain, précisant avoir d'autres priorités, soit la construction du pont Champlain et son péage. «On ne parlera pas d'autres dossiers tant que ces deux-là ne seront pas réglés», a indiqué son attachée de presse, Valérie Rodrigue.

Façon de pelleter par en avant un dossier que l'on doit pourtant attaquer tout de suite puisqu'il prendra du temps à se régler.

Ce n'est pas la première fois que la province tente de rapatrier cette infrastructure stratégique, mais chaque fois, selon ce que l'on en sait, l'initiative est venue du Parti québécois, d'abord du gouvernement Parizeau, puis du gouvernement Bouchard.

Officiellement, ce sont des considérations financières qui ont fait achopper les négociations. Mais franchement, ne nous contons pas d'histoires, les considérations politiques y ont été pour beaucoup.

Radio-Canada a d'ailleurs révélé lundi les dessous des négociations qui ont eu lieu à la fin des années 90. Le gouvernement Bouchard tentait alors de s'entendre avec le gouvernement Chrétien, mais l'un demandait une compensation de 800 millions, alors que l'autre n'offrait que 250 millions.

Puis, Jean Chrétien a suspendu les discussions unilatéralement. Craignant un autre référendum sur la souveraineté, il voulait finalement conserver les infrastructures stratégiques que détenait le fédéral à Montréal...

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Autres temps, autre ton. Et autres considérations.

La peur du référendum a disparu. Les relations entre Québec et Ottawa ont changé. Et les fédéraux ont manifestement cheminé depuis l'ère Chrétien.

Le débat sur la reconstruction de Champlain a en effet montré comment ce pont n'a plus, aux yeux d'Ottawa, l'aspect «stratégique» qu'il avait à l'époque. Un pont que M. Harper qualifie de «local», mais qui représente bien plus que cela pour la métropole et la province.

Depuis la construction de Champlain il y a 50 ans, les abords du pont se sont en effet lourdement urbanisés. La circulation des personnes et des marchandises s'est intensifiée. L'importance du pont, véritable noeud gordien du transport, a ainsi augmenté, comme l'a montré le branle-bas de combat qui a suivi la fermeture de voies de circulation sur Champlain, en novembre dernier.

Le moment est donc propice pour que le fédéral s'en départe... mais il l'est aussi pour que le Québec s'en porte garant, une fois achevé. Une conclusion qui vaut aussi pour les autres infrastructures fédérales. À l'horizon 2020, le pont Mercier aura un tablier neuf, la portion fédérale de l'autoroute 15 aura été reconstruite, l'autoroute Bonaventure aura été retapée et le tunnel de Melocheville aura été remis aux normes. Ne manquera que l'emballage cadeau, si d'aventure le gouvernement Couillard décidait d'emboîter le pas à son prédécesseur...