L'opération de compressions des dépenses dans laquelle se lance le gouvernement Couillard n'est pas un exercice comptable ou financier. C'est d'abord et avant tout une aventure politique.

Il n'y a rien de plus facile que de couper, si on ne se préoccupe pas des réactions et des conséquences. Pensons au maire Rob Ford à Toronto, qui a très bien réussi cet aspect de son mandat. Ou au gouvernement Harper, dont les compressions heurtent en général ceux et celles dont il n'a pas besoin pour assurer sa survie politique. Mais ça se complique quand on veut contrôler les dépenses de façon intelligente et consensuelle.

D'abord, parce que les prémisses mêmes des politiques d'austérité seront contestées par une partie de l'opinion publique, soit parce qu'elle ne croit pas à l'importance d'éliminer le déficit, soit qu'elle privilégie les hausses d'impôts aux réductions de dépenses pour gérer les finances publiques.

Ensuite, parce les compressions font presque toujours mal. Les réductions de dépenses qui ne paraissent pas et les cas de gaspillage facile à éliminer sont rares.

On commence donc à voir une multiplication des réactions négatives aux projets du gouvernement Couillard: levée de boucliers des syndicats de la fonction publique contre l'idée du président du Conseil du Trésor de lier la rémunération à la productivité, demandes salariales salées de 13,5% sur trois ans des syndicats des employés de l'État, qui réclament le rattrapage en période de crise, cri d'alarme des Médecins québécois pour le régime public, qui craignent que l'austérité mène à un recours accru au privé en santé, vives réaction à l'idée de récupérer les surplus des CPE et encore plus à celle de remettre à plus tard l'ouverture de nouvelles garderies. Et ça ne fait que commencer. Chaque mesure d'austérité rencontrera sa coalition, son collectif, qui transformera les efforts du gouvernement en chemin de croix.

D'autres voix s'élèvent pour proposer des solutions «alternatives» aux compressions, qui relèvent le plus souvent de la pensée magique, comme le collectif Échec aux paradis fiscaux. Oui, il faut s'attaquer aux paradis fiscaux. Mais c'est une bataille internationale complexe qui ne peut pas être une solution rapide aux problèmes financiers immédiats auxquels nous sommes confrontés.

Ce qu'on sent, c'est que cette opposition essaie de s'organiser. On perçoit déjà l'ébauche d'une coalition arc-en-ciel, autour des centrales syndicales, comme cela s'est produit en 2003 à l'arrivée du gouvernement Charest. Par exemple, derrière de collectif Échec aux abris fiscaux, on retrouve les syndicats du secteur public, la FTQ, la CSQ, les fédérations étudiantes.

Dans un autre collectif, qui n'a rien à voir avec la bataille contre l'austérité, mais qui a tout à voir avec une bataille contre le gouvernement Couillard, celui contre tout forage à l'île d'Anticosti avant un large débat public, on retrouve encore une fois les centrales syndicales, CSN, CSQ, FTQ, mais cette fois-ci avec les groupes environnementaux. Ce qui mène à des incongruités, car la FTQ appuyait avec enthousiasme l'idée du gouvernement Marois de s'associer à des pétrolières pour l'explorer du potentiel pétrolier de l'île!

Mais nous sommes en 2014, pas en 2003. La crise a changé la façon de voir les choses. Les deux partis qui ont une vision plus conservatrice de la gestion des finances publiques, le PLQ et la CAQ, ont recueilli 64% des voix aux élections du 7 avril. Un mois plus tard, après que le gouvernement Couillard ait révélé ses objectifs financiers, les deux mêmes partis recueillent 67% des appuis, 40% pour les libéraux, 27% pour les caquistes, et l'objectif de l'élimination du déficit par une réduction des dépenses est appuyée par 71% des répondants. Il y a là quelque chose qui ressemble à une légitimité démocratique.