Je pédalais tranquille sur le chemin Saint-Charles. Pas une auto, pas un tracteur. Sans faire mon stop, j'ai traversé le chemin des Rivières pour m'engager sur le pont couvert. J'ai dit pas une auto? Ah merde, si, une. Trop tard... elle est passée si proche que je me suis mis à trembler. Les deux employés municipaux qui nettoyaient le pont n'ont rien vu, mais ils ont bien vu que j'étais secoué: ça va, monsieur?

Les accidents arrivent plus souvent dans les tunnels de la rue Saint-Denis que sur les routes de campagne, mais ils arrivent, arriveront toujours. C'est pas pour ça qu'il ne faut rien faire, c'est vrai. Permettre aux cyclistes d'emprunter les trottoirs était la moindre des choses, mais obliger les camions à rouler dans la voie de gauche en passant sous les viaducs, comme le souhaite M. Coderre, c'est nono. Cela causera d'autres accidents. Et indisposera un peu plus les camionneurs à l'égard des cyclistes.

Ce n'est pas vrai qu'on ne prend jamais trop de précautions. On en prend trop quand on vise le risque zéro, qui est chez nous la norme pour tout, la bouffe, la santé, le vélo, etc.

On est loin de l'Europe, où le vélo n'est pas une «problématique», pas un sujet à débat après chaque accident. On ne voit pas en Europe comme chez nous de ces pancartes qui invitent les automobilistes et les cyclistes à partager la route. Nous avons des règlements à pédale. Ils ont une culture à pédale, c'est beaucoup plus sécuritaire.

On est loin de l'Europe, mais on est très loin aussi du Québec inhospitalier aux cyclistes d'il y a 40 ans. J'ai connu une époque où toutes les sorties, toutes les randonnées étaient ponctuées d'échanges acrimonieux avec des automobilistes, pas une sortie sans un camion pour te tasser dans la gravelle; il y a des régions comme la Beauce où c'était carrément la guerre.

Les petites routes de la Beauce, c'était comme un tunnel rue Saint-Denis, mais au lieu que ce soit sur 50 mètres, c'était sur 200 kilomètres.

Un dernier point: les pistes cyclables, c'est bien, mais à ne jamais aller dans la rue, tu ne sais plus comment te frotter aux autos. Ce que certains sociologues appellent la gestion active du risque.

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Après 300 kilomètres, de petits rajustements - baisser la selle d'un poil, recentrer les freins, remettre du ruban sur le guidon -, les jambes un peu dérouillées, j'étais prêt pour ma première vraie sortie. Je descendrais à Burlington par l'intérieur, Fairfield, Fairfax, Jericho, Winooski, je coucherais dans mon petit motel sur la 7, je reviendrais le lendemain par les îles du lac Champlain. Juste une sacoche, un jeans, un pull, un livre. Je suis parti le lendemain matin. Mon chemin de terre jusqu'au chemin Saint-Armand, ça descend, ça remonte un poil, là dans la remontée, à un kilomètre et demi de la maison: tac. Non, pas un flat; un flat, ça pète: paf. Un rayon qui casse, ça fait un petit bruit sec: tac.

T'es chanceux, ça aurait pu t'arriver à 80 kilomètres d'ici! Chère fiancée. Je sais déjà ce qu'elle va me dire quand je vais lui annoncer que j'ai le cancer du poumon: t'es chanceux, ç'aurait pu être le pancréas...

Dans le village de Franklin (celui du Vermont), il y a une côte qui monte par paliers. Au plus fort de la pente, un autobus scolaire m'a doublé, s'est rabattu et s'est arrêté presque aussitôt, clignotant de toutes ses lumières pour laisser descendre deux enfants qu'un chien est venu accueillir. Je suis reparti en zigzagant - c'est dur de repartir dans une côte -, le chien me gueulait après, derrière, une auto me klaxonnait, il s'est mis à pleuvoir, y avait un petit vent froid.

Vélo à vendre, pas cher.

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À la douane américaine du poste de Morses Line, c'est déjà le temps des stagiaires. La toute jeune fille qui m'a demandé mes papiers avait l'air d'avoir 12 ans et demi. J'exagère. Elle doit être en première année à l'école des douanes, si une telle école existe.

Vous arrivez d'où?

Frelighsburg

Vous allez où?

Frelighsburg...

Oups, j'aurais pas dû dire ça. Ça leur prend une destination. S'cuzez, j'avais mal compris votre question. Je vais à St. Albans, mademoiselle.

Là elle était contente. Parle-moi de quelqu'un qui va quelque part.

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Simon, un de mes jeunes collègues cyclistes à La Presse, a été victime cette semaine d'un accident peu banal. Il est allé rouler sur la montagne, Camillien-Houde, la côte de Poly, il rentrait chez lui, s'arrête en chemin sur Fairmount pour acheter des bagels, défait la déclenche rapide de sa roue avant - pour empêcher un voleur de se sauver avec en pédalant - sauf qu'il oublie, en repartant, de resserrer sa roue... Il se réveillera sur Bélanger, assis sur le trottoir, du monde autour de lui, des infirmiers, l'ambulance... De Jean-Talon, il sera transféré à Sacré-Coeur, traumatisme crânien. Je vous trouve le cerveau un peu gros, lui a dit le médecin. Je vous garde pour la nuit...

Mon jeune collègue de le rassurer: le cerveau un peu gros? C'est normal, docteur.

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Le Tour d'Italie, déjà. C'est le Canadien Svein Tuft, l'équipier modèle des Australiens de la Orica Greenedge qui a pris le maillot rose du leader. C'était son anniversaire vendredi, 37 ans, un beau cadeau que lui ont fait ses coéquipiers. Ce serait long à vous expliquer, il y a des sacrés beaux moments d'amitié dans ce sport-là.

Ryder Hesjedal, qui a gagné ce Giro il y a deux ans; Ryder s'est joyeusement planté hier quand tous les coureurs de son équipe sont tombés, perdant plus de trois minutes, perdant aussi l'Irlandais Daniel Martin (fracture de la clavicule). Du coup voilà Hesjedal seul leader de la Garmin.

Déjà le Tour d'Italie et les asperges qui ne sont même pas sorties.